mercredi 31 janvier 2007

Récrimination acrimonieuse à l'encontre de l'émission "Le Rendez-Vous des Politiques"...

...sur France Culture exprimée sur un ton virulemment irrationnel et injuste se concluant par une revendication attentatoire à l'intégrité financière de M. Enthoven animateur de l'émission en question, contribution qui n'a d'autre intérêt que de calmer les nerfs de son auteur légèrement insomniaque en ce début d'année.

Quel décret divin a confié à l’aréopage du Rendez-vous des politiques le magistère universel qui lui confère seul le droit de déterminer ce qui relève d’une préoccupation légitime et primordial au plan politique ? Quelle force cosmique en est à l’origine, qui leur permet de vouer aux gémonies quiconque à l’audace de considérer que les préoccupations populacières méritent autant d’attention que leur expertise forcément indépendante de pur esprit jamais défenseur de quelque intérêt particulier?

Je comprends bien la souffrance que doit ressentir ce noble individu qu’est Paul Thibaut devant la remontée d’égout des revendications des hordes populacières tant il est vrai que ce qui occupe le vulgaire relève de la trivialité la plus sommaire. Interrogez donc une femme de ménage ou un éboueur ou un intérimaire ou une caissière de supermarché sur le conflit du Proche-Orient, la construction européenne ou les réformes nécessaires mais douloureuses induites par la mondialisation capitaliste qui est une réalité comme le soulignait récemment je ne sais plus quel député libéral (une « réalité » tombée du ciel contre laquelle on ne peut rien si ce n’est s’adapter tous ensemble, enfin tous sauf les universitaires, conseillers d’Etat ou journalistes, politiciens de père en fils et héritiers d’empire industriel, une « réalité » et non un choix politique délibéré par des élites soucieuses de maintenir leurs privilèges et leur domination sociale comme un odieux populisme tendrait à le faire croire) –interrogez donc tous ces gueux sur ces graves problèmes et vous sombrerez dans des gouffres sans fond d’indifférence. La seule chose qui préoccupe ces gens-là c’est leur compte en banque qui n’est jamais assez fourni alors que nos braves statisticiens qui distribuent la vraie vérité à une opinion sourde autant qu’aveugle s’épuisent à expliquer qu’il n’y a aucun problème de revenu dans notre pays, pas davantage que d’accroissement des inégalités de revenu (il est vrai que os braves statisticiens omettent de prendre en compte les revenus financiers mais c’est « parce qu’ils sont impossibles à estimer »). Allez expliquer à un ouvrier qu’il faut bien que les entreprises investissent dans les pays du Sud pour leur permettre de se développer et d’améliorer le sort de leurs populations et qu’il peut bien, lui, faire preuve d’un peu de solidarité internationale en se reconvertissant, en étant flexible et mobile comme savent l’être les universitaires, les conseillers d’Etat et les journalistes ; allez-lui expliquer le plus rationnellement du monde que c’est pour son bien qu’on le licencie pour transférer son poste de travail dans un pays à bas salaire, que c’est pour son bien qu’on l’embauche à la semaine, qu’on le paye au minimum, qu’on intensifie toujours plus son travail ; allez-lui expliquer le plus rationnellement du monde que c’est pour son bien que l’on dégrade constamment ses conditions de travail, d’embauche et de salaire, pour son bien à long terme et vous constaterez que ces gens-là sont inaccessibles au raisonnement et irréductibles à tout argument humanitaire comme cet acte de solidarité internationale que constitue la délocalisation ou le principe du pays d’origine. Le peuple est stupide et ce n’est pas un hasard si le génie de notre langue française finit toujours par opérer des dérivations sémantiques aux vocables qui désignent le vulgaire en les connotant péjorativement !

Terrible en vérité cette démocratie d’opinion, dictature de l’opinion plutôt qui impose dans le débat politique des questions sans intérêt comme le logement par exemple. Et pourquoi une telle agressivité à l’endroit de cette question chez notre aréopage ? J’ai d’ailleurs à ce propos du mal à comprendre les discours de nos grands esprits aventuriers car si, comme l’affirme l’un d’eux, cela fait 20 ans, 30 ans voire 40 ans que le problème du logement se pose comment se fait-il, dans cette odieuse dictature des femmes de ménage et des éboueurs, que cette question ait été éludée par les gouvernements comme les médias jusqu’à il y a peu ? Si « l’opinion » (c’est-à-dire la population entière moins les universitaires, les conseillers d’Etat et les journalistes, les politiciens et les héritiers qui savent, qui sont informés et qui sont instruits) décide seule dans notre démocratie vacillante et impose son ordre infâme pourquoi les problèmes sociaux et économiques du plus grand nombre ont-ils été systématiquement expulsés du débat politique au profit des beaux et grands discours des gens qui savent que le libre-échange est gagnant-gagnant (et c’est vrai qu’il est gagnant-gagnant, gagnant pour les élites du Nord et gagnant pour les élites du Sud !), que les protections sont illusoires et infantilisent l’individu qui doit être responsabilisé (ce qui logiquement ne concernent pas les gens qui savent et qui sont responsables de naissance et n’ont besoin d’aucun aiguillon pour cela), que la construction européenne passe avant toute chose (et tant pis si en élargissant à des pays pauvres qui n’ont pas encore rattrapé leur retard de développement on accentue le dumping social et fiscal et contribue à détériorer les conditions d’existence des gens qui ne savent pas et qui n’auront qu’à s’adapter) ? C’est sans doute la dictature de l’opinion qui est responsable du fait qu’il ait fallu attendre 1997 pour que l’amiante soit interdite ; c’est sans doute toujours cette même dictature qui fait de l’obstruction judiciaire pour gagner du temps, comptant les cadavres de ces sous-hommes d’ouvriers qui n’auront pas besoin d’être indemnisés par les entreprises des gens qui savent. C’est sans doute la dictature de l’opinion qui rogne les indemnités journalières des chômeurs un peu plus à chaque réforme et développe les contrats de travail précaires et qui s’offusque, 10 ou 20 ans plus tard, de la paupérisation des jeunes travailleurs. C’est sans doute la dictature de l’opinion qui libéralise et privatise le secteur et les compagnies électriques et qui s’étonne 10 ans plus tard de la baisse concomitante de l’investissement, en omettant comme il se doit de rappeler que depuis 10 ans si les investissements productifs ont baissé les investissements purement financiers en rachat de concurrents se sont élevés à plusieurs dizaines de milliards d’euros. C’est sans doute la dictature de l’opinion qui est à l’origine de cet étrange phénomène qui veut que le peuple est raciste et xénophobe alors que les gens qui savent sont tolérants et ouverts mais que, paradoxalement, dans les divers quartiers de nos villes le nombre d’immigrés et d’issus de l’immigration est inversement proportionnel au nombre de gens qui savent. C’est sans doute la dictature de l’opinion qui fait des cadeaux fiscaux aux grandes fortunes et bloque les salaires et les pensions. C’est sans doute la dictature de l’opinion qui est à l’origine du rétrécissement social du recrutement des élites et de la reproduction sociale de celles-ci. C’est sans doute la dictature de l’opinion qui fait que 90% des élèves de certains lycées toujours les mêmes accèdent aux classes préparatoires et presque aucun dans certains autres.

Mais j’ai bien l’impression que ce que ne supporte pas notre noble aréopage c’est justement l’irruption de la populace dans le débat politique parce que, inévitablement, si l’on place sur le même plan les préoccupations politiques des élites surprotégées et largement rémunérées auxquelles appartiennent nos grandes âmes et celle des basses castes et de tous ceux qui s’en prennent plein la gueule depuis 20 ans qu’ils sont enjoints à s’adapter à la « réalité » des gens qui savent (et qui ne risquent rien) –inévitablement en ce cas les préoccupations des gens qui savent et leur « réalité » incontournable seront battus en brèche par celles des enjoints à l’adaptation qui sont infiniment plus nombreux. D’où ce discours sur la fin de la démocratie et la démocratie d’opinion, la démocratie relevant de la raison et non de l’opinion, la raison relevant bien sûr des élites et pas de la populace : pour notre aréopage la démocratie n’est possible que si elle est confisquée par ceux qui savent et si elle muselle ceux qui subissent. Car « opinion » ici signifie peuple et populace par rapport aux élites et gens qui savent comme je l’ai dit plus haut ; « démocratie » signifie alors le régime qui assure le gouvernement oligarchique. Dès lors que les élites qui en tirent profit perdent leur toute-puissance suite au désastre économique et sociale auquel nous a mené leur expertise savante durant les 30 dernières années qui forment une période au cours de laquelle l’ascension sociale des classes moyennes et inférieures s’est ralentie, la reproduction des élites accentuée et l’emprise de ces dernières sur les divers lieux de pouvoir accrue, ce qui implique que les prises de décision en matière économique et politique et les orientations du discours médiatique leur incombent essentiellement et qu’il me semble pour le moins extravagant d’imputer à une populace imbécile la responsabilité de la dégradation de sa propre situation et ce alors qu’elle n’a cessé dans le même temps d’être exclue chaque année un peu plus des lieux de pouvoir –dès lors donc qu’elles perdent leur toute-puissance, et toute incapable qu’elles sont de se remettre en cause, c’est-à-dire de se désavouer ou plutôt d’avouer que les finalités poursuivies par les politiques qu’elles élaborent, impulsent, mettent en œuvre et soutiennent depuis 30 ans ne visent qu’à renforcer leur position sociale, elles en viennent à dénoncer la fin de leur toute-puissante expertise et parole comme l’annonce de la mort de la démocratie. L’aboutissement logique de ce raisonnement est de transformer toute revendication populaire en expression de haine et de bêtise et toute volonté de prendre en compte ces revendications comme démagogique et « populiste » pour reprendre ce mot dont le sens a été contrefait par le Cercle de la raison qui a surgi au moment du débat sur le Traité constitutionnel européen, qui a surgi pour être défait par la vile populace qui n’a évidemment pas saisi les enjeux du référendum contrairement aux gens qui savent et aux habitants de Neuilly-sur-Seine qui ont voté « oui » comme un seul homme.

Il est à ce sujet très intéressant de reprendre les considérations de M. Enthoven à propos de ce peuple aux méchantes idées xénophobes, ce peuple qui a su « faire preuve d’intolérance », ce peuple auquel il a fallu imposer d’en haut l’abolition de la peine de mort. Voilà bien des propos qui puent la haine de classe et les préjugés de notre aréopage. M. Enthoven peut raconter toutes les âneries qui lui passent entre les oreilles mais je trouve qu’il a la mémoire sélective. Que je sache, en effet, la peine de mort n’a pas été abolie par un chef d’Etat tout-puissant entraînant dans un élan de folle audace une opinion stupide et percluse d’admiration pour le grand homme qui sait: elle était une proposition du candidat Mitterrand, et une proposition volontairement mise en avant et fermement défendue jusqu’à la fin de la campagne par le seul président de la République socialiste que notre pays ait connu, une proposition qui fut votée par l’Assemblée nationale après que M. Badinter, ministre de la Justice, en eut exposé publiquement les fondements philosophiques. Certes l’opinion était majoritairement favorable au maintien de la peine de mort mais l’abolition n’a pas été courageusement réalisée par un président dressé seul contre l’odieuse populace, échevelé dans la tempête opinante : elle a été mise en œuvre par le représentant de la nation souveraine investi par le suffrage universel d’un peuple qui avait délibéré en connaissance de cause. La démarche de M. Mitterrand était à l’opposé même des méthodes que défendent M. Enthoven et ses copains. Par ailleurs les insinuations de ce monsieur concernant l’intolérance sans doute innée de la populace qu’il nomme opinion ne laissent pas de m’interloquer ! Certes la xénophobie et le racisme sont des réalités sociales mais enfin d’où viennent les stigmates racistes ? Qui a enseigné pendant près d’un siècle aux enfants de l’école républicaine que les Arabes étaient fourbes et paresseux, que les Nègres étaient indolents et stupides ? Qui a inventé et répandu les zoos humains en France ? Que je sache la colonisation qui est à l’origine des préjugés racistes qui gangrènent la société a été initiée au dix-neuvième siècle contre une opinion qui avait déjà d’autres soucis qu’apporter la civilisation française à des peuples qui vivaient très bien avec les leurs, des soucis qui étaient eux-mêmes bien triviaux j’en conviendrai mais c’est dans la nature du vulgaire d’être trivial : c’est contre la volonté du peuple que les élites ont imposé la colonisation et c’est pour le convaincre du bien-fondé de cette grande œuvre que les écoles ont enseigné aux enfants de France à mépriser et à détester les Arabes et les Nègres, c’est toujours pour convertir une opinion perplexe à la nécessité de coloniser que les gentilles élites ont inventé les expositions coloniales et les zoos humains. Le racisme contemporain qui s’exerce à l’encontre des Arabes et des Noirs n’est pas le fruit d’une tare congénitale de l’opinion mais l’écho d’un discours élitaire.

Mais la xénophobie, dira-t-on, n’est pas neuve et relève d’autres logiques. Il est vrai qu’on ne peut assimiler racisme et xénophobie et s’il est évident que les ancêtres de nos hommes Circulaires (qui appartiennent au Cercle de la raison) ont construit le racisme on ne peur leur imputer tous le crimes de la Terre et exonérer a priori la populace de toute responsabilité en matière de xénophobie. Le peuple est généralement xénophobe, plus exactement les peuples sont généralement xénophobes de même que les individus sont aisément intolérants vis-à-vis de ceux qui ne pensent pas comme eux. Cela étant la xénophobie n’est pas également présente dans toutes les couches de la société : si tous les degrés de la pyramide sociale sont touchés par ce phénomène il semble toutefois que la prévalence et la prégnance de celui-ci croissent au fur et à mesure que l’on dégringole lesdits degrés. De la même manière les périodes de crise et de tension économique et politique sont propices au développement de la xénophobie. Ainsi, si la xénophobie est universelle et éternelle elle ne s’exprime pas de la même manière selon les contraintes économiques et sociales qui pèsent sur les individus comme sur la société. Au lieu de donner des leçons de morale l’aréopage de la Cercle de la raison ferait peut-être mieux de se préoccuper des conditions sociales, culturelles et économiques qui favorisent l’essor de la xénophobie latente dans toute société humaine. Entre autre si M. Enthoven daignait descendre de son piédestal il constaterait que les comportements et pensées xénophobes sont largement attisés par l’accentuation de la compétition interindividuelle induite par le libre-échange, la libéralisation à tous crins de l’économie et le démantèlement de l’Etat-providence construit à la Libération, toutes politiques initiées et soutenues par l’aréopage et le Cercle. Il pourrait aussi constater que les discours xénophobes ne sont bien souvent que l’écho assourdi du discours haineux et méprisant qu’ont subies les hordes populacières (qu’il nomme « opinion ») de la part de leurs maîtres bourgeois et leurs séides de l’immarcescible Cercle de la raison. Il pourrait constater que le mépris du « petit blanc » qu’il exècre à l’égard du bougnoule n’est que l’écho du mépris que reçoit celui-là de la part d’une société hiérarchisé et inégalitaire où la valeur d’un homme est proportionnelle à son revenu ou ses diplômes : la xénophobie n’est souvent qu’un viatique qui permet aux faibles et aux vaincus de la compétition économique de se constituer une image positive d’eux-mêmes en surinvestissant leur appartenance à une communauté humaine quelconque, communauté parée de toutes les qualités auxquelles ils s’identifient sans distance critique afin de se parer de ces qualités que la société leur dénie. Bien sûr la xénophobie est un phénomène complexe qui ne saurait être réduit à une cause unique mais il me semble toutefois que la hiérarchisation de la société et la compétition économique (auxquelles les hommes sont d’autant plus durement soumis qu’ils sont plus faibles et fragiles et issus de milieux modestes et, a fortiori, pauvres) sont deux éléments qui ne peuvent être écartés d’une réflexion sur ce problème. En conséquence ceux-là mêmes qui sont à l’origine ou qui défendent une vision du monde où la société se réduit à une lutte de tous contre tous et au maintien des hiérarchies installées, ceux-là me semblent mal placés pour conchier la populace et lui donner des leçons de morale sous prétexte de considérations philosophiques vaseuses et d’omissions opportunes.

Tout ça pour dire que cette émission du Rendez-vous des politiques sur France Culture me semble avoir perdu beaucoup en qualité depuis que M. Enthoven en a pris les commandes. C’est peut-être une opinion infondée (!) mais, constatant que la seule variante par rapport aux années précédentes réside en la personne de l’animateur orchestrateur questionneur médiateur, j’en viens à imputer sans doute injustement la responsabilité de cette dégradation au dit animateur…

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