...à la suite de la contribution précédente ( http://animalcubique.blogspot.com/2007/01/propos-dun-fait-divers-sordide-relat.html) relative à un fait divers sordide survenu dans les transports en commun de l'agglomération parisienne afin d'éclaircir aux yeux de l'auteur sa conclusion d'alors après qu'elle lui eut paru fort ambiguë lors d'une nouvelle lecture.
…Quand l’autonomie individuelle que nous exigeons tous nous mène collectivement à l’anomie sociale ou quand nos chères libertés individuelles construisent les conditions de notre propre asservissement…
Car bien sûr, alors, non seulement nous sommes incapables de répondre au surgissement de la violence, mais en plus, afin de pallier cette incapacité, nous exigeons le développement de capacités médiatrices entre le troupeau que nous formons lorsque nous franchissons les Portes blindées que les compagnies d’assurances nous imposent et le prédateur multiple que, somme toute, tout étranger est susceptible de représenter relativement au maintien de mon intégrité corporelle. Tout étranger, autant dire tout le monde sauf moi –enfin sauf moi par rapport à moi qui écrit pas par rapport au moi qui pourrait éventuellement me lire et que je soupçonne de constituer une menace…Voilà comment l’individu occidental, autonome et responsable, émancipé et éthique, débarrassé des solidarités locales et familiales et du contrôle social spontané qu’elles impliquaient –voilà comment le grand individu anonyme et indifférent en vient à exiger le recours à des formes modernes de contrôle et de surveillance.
Il est toujours loisible à tout un chacun de brailler contre les méchants gouvernements qui manipulent le sentiment d’insécurité, contre les médias qui font l’opinion insécurisée en l’abreuvant de faits divers sordides, nourrissant ainsi le méchant gouvernement. Il lui toujours et tout aussi loisible, au tout un chacun, de résister à la montée du fascisme ou de dénoncer le vent de réaction qui souffle sur la société. Si ça l’amuse et si ça lui fait du bien, au tout un chacun rebelle de gauche qui refuse de se laisser manipuler, esprit libre, échevelé dans la tempête pré-totalitaire ; si ça l’amuse et si ça lui fait du bien, au tout un chacun par qui le fascisme ne passera pas ; si ça l’amuse et si ça lui fait du bien, au tout un chacun qui n’est pas un tout un chacun mais un homme libre et un militant en lutte (j’ai cru voir passer un oxymore) ; si ça l’amuse et lui fait plaisir, après tout pourquoi pas : tout amusement et tout plaisir est louable s’il ne cause de souffrance à personne.
Ainsi l’on braille et l’on se place finalement dans la peau de la victime : le flicage grandissant, la traçabilité et la surveillance des individus seraient le produit d’un puissant mouvement idéologique et politique attentatoire à nos chères libertés, un mouvement qui n’aurait d’autre obsession que de nous réprimer, nous qui sommes tellement libres et tellement rebelles, qui sommes tellement dangereux pour le pouvoir sous toutes ses formes, nous qui sommes tellement imbus de nous-mêmes et des grands combats que nous avons menés -enfin nous qui sommes surtout nantis de l’héritage des batailles sociales, culturelles et politiques de nos parents et de nos aïeux (sans oublier nos bisaïeux, nos trisaïeux…). Sans doute existe-t-il un tel mouvement, qui est bien compréhensible dans une société injuste, brutal et inégalitaire ; et faut-il s étonner ou s’offusquer de ce que le pouvoir sous toutes ses formes et ceux qui l’habitent développent un discours visant à maintenir leur emprise ? Il en est des classes sociales comme des administrations ou des espèces vivantes qui tendent à persévérer dans leur être ; reprocher aux pouvoirs leurs abus et leurs injustices c’est comme reprocher aux loups de manger les petits enfants en période hivernale : le pouvoir se nourrit de la faiblesse de ses proies, que le faible grandisse un peu, qu’il s’arme et apprenne à travailler avec ses frères en faiblesse et le grand méchant loup ira se remplir la panse ailleurs.
Les fondements de tout pouvoir se situent toujours dans la tête de sa proie mais le pouvoir en lui-même n’est rien qu’inanité, la répression qu’il met en œuvre est comme toute violence un signe de fragilité et de débilité, un pas en avant de plus dans son non-être méphitique. Est-ce un hasard si l’Eglise, la plus puissante source d’asservissement qui ait jamais existé sur la Terre, a constamment lutté contre la libre pensée, ce jusque dans son sein ? L’Eglise savait bien que penser librement conduirait immanquablement à remettre en cause les dogmes délirants sur lesquels repose la foi chrétienne et donc à mettre en danger son pouvoir ainsi que celui de ses alliés (les monarchies par exemple). Le christianisme au bout du compte n’est qu’une eschatologie, la promesse d’une vie heureuse après la mort, à condition toutefois de souscrire aux critères idoines, c’est-à-dire d’adhérer aux croyances et pratiques chrétiennes et se résigner au sort que le hasard de la naissance et de la vie vous accorde : être chrétien consiste avant tout à se comporter en sujet docile et bienveillant vis-à-vis de qui a le pouvoir et l’autorité (qui émanent bien sûr du bon Dieu, d’où l’obligation de s’y soumettre pour qui veut accéder au paradis). Mais le système tenait malgré qu’il fut absurde, justement parce qu’il était cohérent dans son absurdité : si des évangiles ont été décrétées apocryphes alors que d’autres ont été jugées justes c’est que celles-ci permettaient l’écriture d’un texte certes absurde mais cohérent quand celles-là portaient atteinte à la cohérence du tout. Le christianisme est cohérent dans son absurdité comme le fou est rationnel dans sa folie.
Ainsi l’autorité de l’Eglise tenait grâce à la cohérence de son système d’explication du monde, qui libérait les hommes de leurs petites angoisses existentielles. Et comme elle était attachée à son pouvoir, et ses alliés avec elle, elle s’arrangeait pour inclure dans son système la sujétion des croyants à son autorité et à celle de ses alliés (avec lesquels elle pouvait être en conflit par ailleurs au sujet du partage du pouvoir effectif). C’est pourquoi l’Eglise réprimait la libre pensée : parce qu’elle savait, ou supputait, qu’en s’attaquant à une analyse de ses dogmes l’exercice libre de la raison les renverraient à leur absurdité, ce qui ruinerait, ou tout du moins entamerait, l’adhésion des individus dans son merveilleux système. Réprimer les esprits libres représentait donc pour elle et ses alliés un moyen de s’assurer le contrôle des consciences assujetties plus que du fanatisme.
(Le pape qui a mis Galilée à l’index et l’a forcé de se dédire et de s’humilier publiquement était le même qui, cardinal quelque années auparavant, l’avait incité à poursuivre ses études, non parce qu’il avait changé d’opinion quant à la justesse des vues du Florentin mais parce que, désormais dépositaire du pouvoir au sein de la chrétienté, il ne pouvait tolérer qu’on dévoile l’absurdité du système en attentant à sa cohérence ; objectivement le pape croyait sans doute moins à la véracité du christianisme que Galilée et, s’il ne croyait pas un mot des sornettes dont il avait la charge de la défense, il savait que laisser se répandre des idées non-conformes avec le Livre finirait probablement par abattre l’édifice de fictions dont dépendait la légitimité de tout pouvoir en terre chrétienne. En fait, tant que les idées de Galilée restaient confinées dans le cercle très restreint du pouvoir, cela ne posait pas problème mais qu’elles puissent vagabonder dans tous les milieux voilà qui était intolérable : le dogme ne devait pas être contesté parce qu’il ne pouvait distribuer aux misérables existences de ses fidèles un sens que tant qu’il maintenait son emprise sur les consciences, et pour ce faire il devait conserver son apparente cohérence.)
Qui contrôle les idées qui donnent aux hommes un sens à leur vie s’assure de leur assentiment, et de leur assujettissement si l’organe d’émission du sens est un pouvoir. Il est donc légitime et nécessaire, de leur point de vue, que les pouvoirs élaborent et diffusent un discours qui confirme et justifie leur autorité dans la société. Ce qui est en cause n’est pas tant le discours lui-même que les fondements de l’assentiment des individus et de la société à ce discours. Ainsi ce qui nourrit le très affreux et très méchant discours sécuritaire et hygiénique à destination de ces héritiers nantis que nous sommes, hommes à la vie longue, hommes qui ont tellement peur de ne pas aller jusqu’au terme naturel que la biologie leur assigne, hommes à la vie longue, attentifs et très attachés aux prédictions de l’INSEE tous les ans revues à la hausse (même si les gains de longévité statistique concernent les nouveaux-nés, ça fait toujours plaisir), dont l’existence se réduit à bien préparer son vieillissement –ce qui nourrit l’affreux discours n’est pas la montée d’un fascisme ou d’une réaction qui s’abattrait sur nos sociétés telles les nuées de sauterelles sur les campagnes de l’Afrique mais nos propres angoisses existentielles (c’est-à-dire le refus obstiné de notre condition d’être mortel, de mammifère bipède, d’être fini aux potentialités importantes mais bornées, nullement irremplaçable et nullement nécessaire, d’être vivant parce que mortel) et les petites peurs quotidiennes qui l’alimentent en réduisant autrui à un danger, puisque autrui dans nos sociétés anonymes d’individus autonomes est toujours un étranger.
Condamner le discours sécuritaire et la manipulation des peurs ne sert à rien, si ce n’est se faire plaisir à peu de frais et sans grand risque, si l’on ne s’attaque pas à ce qui le rend audible et acceptable. Condamner est non seulement inutile mais contreproductif car c’est refuser de reconnaître ce qui fait l’efficacité de ce discours, qui tire sa force justement de nos propres libertés d’individu autonome et des conséquences de cette autonomie sur la manière dont nous nous comportons les uns à l’égard des autres dans nos relations sociales. En développant la surveillance et la traçabilité, en accroissant le flicage, le discours sécuritaire rend possible l’exercice de nos autonomies respectives, il nous offre la possibilité de continuer dans notre indifférence glacée à autrui et notre enfermement dans nos cercles amicaux, familiaux ou professionnels tout en nous procurant la sécurité dans l’espace public que nos modes de sociabilités rendent impossibles. Le discours sécuritaire est efficace non parce qu’il rappelle le bon vieux temps ou qu’il veut nous empêcher d’être libre mais parce qu’il prend en considération et accepte notre exigence d’autonomie individuelle et nous propose les expédients nécessaires au maintien de la sécurité dans l’espace public, sécurité sans laquelle l’exercice de l’autonomie individuelle devient difficile pour ne pas dire virtuel (comment puis-je vivre mon homosexualité libre et épanouie d’individu autonome si, dès après que j’ai poussé ma Porte blindée, je cours le risque d’être molesté, insulté, tabassé, violé ou même tué par des bandes de chiens errant sans collier –j’essuie une petite larme- sans que rien ni personne ne vienne à mon secours), en mettant en place les éléments (flicage, traçabilité, surveillance) qui nous protègent de la violence sociale. Ce discours n’est pas fasciste ou réactionnaire, il s’insinue tout simplement dans les lignes de faille de notre société libérale d’autonomie individuelle et d’anomie sociale, il s’y insinue et les comble à sa manière.
Nous ne sommes pas des victimes ; nous ne sommes des victimes ni de la sordide et abjecte violence sociale ni du manipulatoire discours sécuritaire. Nous sommes des individus conscients, libres et éduqués que rien ni personne ne condamne à devenir les proies innocentes de prédateurs cyniques (qu’ils portent basket et capuche ou costard et cravate n’importe pas : ils sont tous égaux dans leur saloperie, égaux dans leurs dégueulasses désirs d’humiliation, de domination, d’appropriation et d’exploitation). C’est pourquoi il faut refuser la double démagogie manipulatoire que constitue d’une la soupe sécuritaire d’un Sarkozy (aujourd’hui en France mais on les trouve partout les Sarkozy) et de deux la soupe anti-sécuritaire d’un Besancenot : parce que la soupe sécuritaire n’est qu’un moyen pour les pouvoirs en place de se maintenir et de se légitimer en proposant des solutions illusoires et qui n’attentent pas à l’ordre social et que la soupe anti-sécuritaire n’est qu’un moyen de se faire plaisir en jouant les victimes et les résistants défenseurs des libertés en danger et en refusant de mettre en cause ce qui, dans nos modernes libertés, insécurise l’individu autonome et conduit à l’anomie sociale ! De là à dire que Besancenot sert la soupe à Sarkozy…
Nous ne résoudrons pas nos problèmes existentiels, culturels, économiques, politiques et sociaux en nous abreuvant de soupe, aussi délicieuse soit-elle, qu’elle se dise ou soit crue à l’ancienne ou moléculaire, mais en acceptant de regarder le revers du miroir : il ne suffit pas d’émanciper l’individu pour le rendre heureux et il ne suffit pas de s’épanouir dans la spontanéité pour abattre le vieil ordre du monde, il ne suffit pas de libérer le désir pour abolir toute violence. Ce qui nous manque, en l’occurrence, c’est la formule qui permette de concilier autonomie individuelle et sécurité dans l’espace public : nous élaborerons cette formule en inventant de nouvelles manières de vivre ensemble et pas simplement côte à côte, un vivre-ensemble qui reposera sur la fédération spontanée des individus autonomes qui s’arracheront à leur indifférence glacée pour se préoccuper les uns des autres tout en respectant autrui dans son autonomie et dans son éthique, perspective somme toute désagréable à première vue mais qui, je crois, serait profitable à long terme . Nous élaborerons cette formule ou sinon nous subirons l’orgasme, qui ne doit pas être joli à voir, de tous les cratopathes imaginables, Sarkozy aujourd’hui et ici, demain et ailleurs un demi-cinglé du même acabit. Et la Besancenot SARL, sextoy pour tout sexe, continuera à viser le segment du marché politique « jeune rebelle ». L’autonomie individuelle sans anomie ni contrôle social ça doit bien être possible, non ?
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