samedi 20 janvier 2007

Tentative maladroite de dénoncer la valeur travail au risque de passer pour un affreux communiste...

...alors que je suis en fait un ignoble défenseur de la grande saloperie capitaliste.
Le travail est sans nul doute une activité indispensable, utile, etc., une activité nécessaire en somme ; aussi pourquoi faudrait-il en faire une valeur morale ? Le travail est une nécessité économique pour l'individu et pour la société. Quelque soit le système économique le recours au travail est incontournable, au moins si nous voulons perpétuer notre niveau de vie et de confort. Or ce qui est nécessaire n'a nul besoin de justifications morales: la nécessité de par son caractère rédhibitoire et péremptoire est à elle-même sa propre fin. Aussi pourquoi transformer une nécessité en valeur morale si ce n'est afin de recouvrir la réalité du travail dans le cadre de l'économie capitaliste mondialisée? Car la réalité du travail dans cette économie se traduit bien souvent par de la souffrance et de la frustration, pour finir par de l'abrutissement et cela parce que le travail dans le capitalisme se transforme en moyen d'action. Le travail tel que nous le pratiquons n'a pas pour fin l'utilité et le bien-être de la société et de l'individu mais l'accroissement indéfini du capital et, ce faisant, l’enrichissement et la puissance de ses détenteurs. Dans la réalité sociale et économique de notre monde un éboueur jouit de revenus insignifiants relativement à ceux d'une Bétancourt par exemple, dont la seule activité aura été d'hériter de son papa la propriété de l'Oréal et de quelques milliards d'euros: il est pourtant manifeste que des rentiers comme la Bétancourt ne servent à rien et ne participent en rien au bien-être et au bonheur de la société et des individus qui la composent alors que sans les éboueurs notre société consumériste sombrerait dans le chaos. Manifestement le travail ne compte pour rien dans le niveau de revenus des individus puisque certains qui travaillent dur sont mal payés et que d'autres qui glandouillent leur vie entière vivent comme des papes. Je constate également que dans notre société les emplois les plus difficiles, non seulement sont peu rémunérés mais de plus sont dévalorisés quand ils ne sont carrément considérés comme infâmants: les éboueurs ou les femmes de ménage en attesteront.

Si on s'intéresse à la hiérarchie des salaires dans une entreprise on constate que celle-ci correspond exactement à la hiérarchie des emplois or la dureté du travail ou l'utilité relativement à la production ne correspondent pas nécessairement à la place dans la hiérarchie. Par exemple dans une fonderie le travail des ouvriers est incomparablement plus dur que celui du chef d'atelier or celui-ci est toujours mieux payés que ceux-là; le travail des directeurs est bien moins dur que celui du chef d'atelier qui lui est en contact direct avec ces feignants d'ouvriers et doit veiller à ce que ceux-ci mettent en oeuvre les décisions de la direction et malgré tout ça les directeurs sont toujours mieux payés que les chefs. En outre les ouvriers sont beaucoup plus utiles que les chefs et les directeurs car ils peuvent faire tourner l'usine sans ces derniers -certes l'usine tournera moins bien et peut-être devra cesser ces activités à un moment ou à un autre mais cette situation est viable un certain temps-; à l'inverse les chefs et les directeurs ne produisent plus rien dès lors que les ouvriers ont disparu et perdent en leur absence immédiatement toute utilité. Pourquoi les salaires sont-ils inversement proportionnels à l'utilité et à la dureté du travail effectué? Sans doute parce que l'utilité que sanctionne le salaire n'est pas liée au travail en tant qu'il tend au bien-être et au bonheur des hommes et de la société mais à son utilité relativement au but ultime de l'entreprise capitaliste dans le cadre de laquelle le travail s'effectue et qui consiste tout simplement à accroître le capital qui a été investi.

Dans ces conditions on comprend bien que ce n'est nullement le travail que le salaire sanctionne mais la fonction dans l'organisation d'un travail collectif dont les principaux agents sont dépossédés du bénéfice. Le fruit du labeur n'appartient pas au travailleur mais au propriétaire qu'est l'investisseur. Or les hommes travaillent par nécessité et non par plaisir ce qui implique que le travailleur aura tendance à s'approprier le fruit de ses efforts, tout du moins à le considérer comme sien: si le fruit du travail grossit le travailleur soit décide de s'enrichir en maintenant le même niveau de travail soit décide de réduire son travail en considérant qu'était suffisant son niveau de revenu préalable. Mais le travail n'appartient pas au travailleuret la richesse qu'il crée encore moins: elles appartiennent au propriétaire qu'est l'investisseur. En fait l'entreprise n'a d'autre fin que de déposséder le travailleur du fruit de son travail pour le maintenir en la propriété de l'investisseur; pour être plus exact je dirai que l'organisation de l'entreprise organise non le travail en tant que tel mais la dépossession du créateur de richesse de la richesse qu’il crée. Tout cela explique à mon sens cette absurdité qui veut que plus le travail est dur et moins il est payé: le salaire est relatif à la place de l'individu dans la chaîne de dépossession du fruit du travail, c'est-à-dire au degré d'intensité selon lequel il participe à la coercition du travailleur, celui qui fait le sale boulot ou qui effectue tout simplement la tache la plus utile -ce qui revient généralement au même- et que l'investisseur dépossède du fruit de son travail afin de s'enrichir.

Il est bien évident, une fois posé cela, que le système ne peut tenir s'il reste à l'état brut, auquel cas la société exploserait et l'investisseur finirait la tête au bout d'une pique, comme ces niaiseux d'aristocrates qui ont fomenté la convocation des Etats généraux en 1789 afin d'obtenir la restauration des droits féodaux que la monarchie absolue avait accaparés et qui n'avaient pas compris que le monde, en tout cas la France, avait changé et que leurs exigences étaient devenus insupportables pour une société au sein de laquelle l'idée d'égalité entre les hommes s’étendait jusqu’à devenir progressivement une exigence! Pour ne pas perdre la tête au sens propre l'investisseur doit veiller à ce que le travailleur perde la sienne, mais là au sens figuré.

Edifier un appareil de fictions s'avère donc nécessaire afin de viabiliser une société qui n'a d'autre fin que de déposséder la majeure partie de la population du fruit de ce labeur dont les hommes aimeraient à se débarrasser, et dont certains parviennent à se débarrasser: les investisseurs par exemple qui aiment beaucoup le travail effectué pour eux par les créatures lobotomisées qu'ils emploient. Seulement, si lobotomie il y a celle-ci ne peut être matérielle, d'abord parce que c'est très méchant d'attenter à l'intégrité physique d'autrui et puis surtout parce que si on veut que le travailleur effectue les taches qui lui incombent il est nécessaire que celui-ci jouisse de la plénitude du petit cerveau que Nature lui a fourni. (Notons au passage que, par une coïncidence extraordinaire, au dix-neuvième siècle, les pays industrialisés ont rendu obligatoire l'instruction au moment même où le machinisme explosait, rendant nécessaire une élévation du niveau d'instruction du travailleur; notons surtout que c'est l'instruction primaire qui a été rendue obligatoire, celle qui apprend à lire les consignes du patron et à compter le nombre de pièces exigées par le même patron. Encore aujourd'hui on peut constater que seule une minorité des enfants d'ouvriers accèdent à l'enseignement supérieur et que seule une minorité parmi cette minorité accède à un enseignement universitaire: le savoir transmis aux ouvriers et à leurs rejetons doit leur permettre de travailler et pas de réfléchir ou de se cultiver et pour cause: pour que le dîner de con soit possible et que les marioles se marrent le con doit ignorer qu'il est le con.). Il faut donc "lobotomiser" non le cerveau mais la conscience, la raison et la représentation du monde de ces travailleurs qui forment le gros de la population et bâtir à cette fin cet appareil de fictions qui les empêchera de voir le monde tel qu'il est ou, plus exactement, qui leur fera voir le monde tel qu'il doit être pour la luxure et la débauche de quelques-uns: investisseurs aujourd'hui, aristocrates hier, seigneurs avant-hier, ou encore patriciens avant la survenue des seigneurs, chacune de ces castes ayant lobotomisé les masses à sa manière et en fonction de l'origine de sa puissance.

Pour moi, me paraît désormais claire la raison pour laquelle le travail subit ce phénomène de transsubstantiation, si j’ose dire. Puisque il est nécessaire de masquer la dépossession du fruit de son travail que subit le salarié dans le cadre de l'économie capitaliste; puisque toute société produit un système de valeurs plus ou moins arbitraire, qu'elle nomme morale et qui s'intègre à un système d'explication du monde, dont les hommes ont besoin afin de supporter l'absurdité et l'inanité intrinsèquesde leurs existences et du monde; puisque les hommes ont pour habitude de transformer les contraintes extérieures en forces surnaturelles ou en valeurs morales afin de rendre ces contraintes moins désagréables et le monde moins obscur et hostile -alors il faut impérativement que le travail, de nécessité objective qu'il est, se mue en valeur morale et, de but afin d'améliorer la vie des hommes, qu'il devienne un élément constitutif de l'humanité même en l'absence duquel un homme cesse d'être un homme. Et c’est ainsi que la fonction strictement utilitaire du travail s’évapore et qu’il devient valeur morale, une valeur à laquelle chacun se doit de se plier et d’intérioriser comme un élément constitutif de son appartenance à la société. Tout ça pour obtenir de bons travailleurs, efficaces, consciencieux, qui voit dans le travail un but existentiel et qui se laissent dépouiller par des investisseurs qui eux méprisent le travail autant qu’ils méprisent les travailleurs.

Mais celui qui ne voit dans le travail qu’une nécessité individuelle et collective raisonnera, quant à la redistribution de la richesse créée par le travail, en terme de bénéfice pour l’individu et pour la société et non en terme de création de valeur pour l’actionnaire. Considérant l’égalité des hommes il posera la question de la légitimité d’une échelle des salaires qui ne correspond qu’aléatoirement au degré d’utilité quant au bien-être des individus ; il posera la question de la participation des travailleurs à l’organisation du travail et risquera fort de remettre en cause une organisation dont le seul objectif est la fameuse création de valeur pour l’actionnaire ; etc. Ramener le travail à sa seule nécessité afin d’assurer le bien-être de la collectivité et des individus qui la composent aboutit soit à une remise en cause radicale du fonctionnement de la société et de l’économie ainsi que la politique et des médias soit à prôner aux salariés l’adoption d’un cynisme égal à celui des vainqueurs du système capitaliste : est-ce un hasard si certains capitalistes soucieux du devenir du système dont ils sont les bénéficiaires dénoncent le néo-libéralisme non pas en raison des dégâts sociaux et humains qu’il engendre mais parce qu’il tend à détruire les fondements moraux et culturels, autant dire les fictions construites au fil des siècles, qui ont permis son essor dans la mesure où ceux-ci conditionnent les individus, quand bien même ils sont conscients de l’abjection du système (qui est par ailleurs un système formidablement efficace pour créer de la richesse), de telle sorte qu’ils finissent par s’enorgueillir de ces valeurs qui les condamnent à vivre en vaincus du système, qui fait des jouets de ce système les agents de leur propre aliénation et de leur propre exploitation.

"Il faut faire de nécessité vertu" dit-on: voilà bien une sentence de maître et un dicton d'esclave! Comme je l'ai dit plus haut il est dérisoire de parer la nécessité: il faut reconnaître la nécessité comme telle et repousser comme diabolique toute pensée qui tend à la dénaturer en la parant d'atours agréables certes mais illusoires car ces beaux atours ont pour seul but non de dessiller mais d'aveugler l'observateur. En l'occurrence le travail est une nécessité pour l'individu et pour la société: étant moi-même myope comme une taupe j'ai besoin pour vivre des compétences de l'ophtalmologue qui estime la correction nécessaire pour me permettre d'y voir clair, du lunettier pour fabriquer les verres correcteurs et de l'opticien pour me fournir mes lunettes. Le travail est nécessaire au bonheur et au bien-être des individus et de la société mais dans notre société capitaliste il ne prodigue pas bien-être et bonheur à chacun: certains jouissent d'une vie digne du paradis sur la Terre et d'autres souffrent une Géhenne sans fin or les hommes sont égaux: si le travail a pour fin le bonheur et le bien-être des individus et de la société et que les hommes sont égaux alors il doit procurer à chacun un bonheur et un bien-être égal -toutes choses égales par ailleurs- ou sinon...sinon il faut masquer ce caractère de nécessité en le parant d'atours irrésistibles tel que celui d’une vertu morale et sociale qui occulte le réel et légitime une injustice insupportable autrement: il faut faire de nécessité vertu pour que les maîtres prospèrent et que les esclaves s'enorgueillissent de leur dépossession et de leur sujétion.

A bas le travail qui enrichit quelques-uns et qui abrutit la masse !
Vive le travail qui rend aux hommes la vie meilleure et la société égale!

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