L’un des avantages que procure le travail de nuit, hormis de réduire l’amplitude horaire de la vie sociale de l’individu concerné pour peu qu’il soit célibataire, hormis d’ajouter des primes additionnelles souvent mirobolantes à des salaires déjà prohibitifs pour la pauvre entreprise écrasée par la concurrence mondialisée, hormis de rendre un peu plus pénible et fragile le sommeil de celui qui a le mauvais goût de souffrir d’insomnies –enfin hormis moult joyeusetés le travail de nuit présente un avantage et un plaisir comparable à nul autre : éviter les matins de France Culture. Etant moi-même citoyen contribuable et redevable, de même que pingre, j’ai pour habitude d’écouter cette antenne publique généralement intéressante, voire enrichissante ; et d’ailleurs, n’étaient les fameux Matins, elle le serait tout court, enrichissante. Comme la vie est mal faite ! Fallait-il donc que je tombe, moi qui entends ces Matins peut-être une fois dans l’année, justement sur Mrs. Slama et Barbier, ci-devant défenseurs du darwinisme social et apôtres de la responsabilité individuelle (ça marche souvent ensemble, je me demande bien pourquoi). La chronique de M. Slama est disponible ici http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture/emissions/matins/index.php.
Ainsi donc M. Slama se réjouit pesamment de l’audace réformatrice de notre ministre de la santé organisant le développement de l’automédication. Enfin ce qui réjouit surtout M. Slama est cette fameuse responsabilité individuelle dont le ci-devant Barbier nous explique au même moment qu’elle s’est trouvée ruinée par la Sécurité sociale et l’Etat-providence dont la crise salutaire contraindra chacun à se reprendre en main sans plus compter sur la providence d’un Etat qui débilite et amollit : M. Slama se réjouit de ce que l’automédication va augmenter le nombre de médicaments en vente libre et donc non remboursés. Ainsi le fait de débourser responsabilise l’individu qui n’est bien souvent qu’un malade imaginaire, chose bien connue du ci-devant mais que des préventions imbéciles masquent au commun des mortels par ailleurs affiliés à la Sécurité sociale qui porte atteinte à la sélection naturelle –qui attente à la responsabilité individuelle veux-je dire. Il est bien évident que la responsabilité individuelle est une grande chose de même que la sélection naturelle : il est tout aussi évident que le meilleur moyen de responsabiliser l’individu consiste à lui taper dans le portefeuille qu’il a plus fourni qu’il ne le dit, l’hypocrite, mais on ne la fait pas au ci-devant qui sait que la réalité se situe dans les statistiques de l’Insee et de l’Eurostat et qui ne se laisse pas abuser par le « ressenti » du personnel ancillaire. Toujours est-il qu’en faisant payer le malade on le responsabilise : et pourquoi pas après tout ?
Mais alors, puisque le prix des médicaments est unitaire, cela implique que le malade imaginaire est responsabilisée relativement à son niveau de fortune : ainsi celui qui gagnera mille euros sera dix fois plus responsabilisée que celui qui en gagnera dix mille quand il achètera un remède coûtant cinquante euros, ce qui représente 5% de son revenu mensuel contre 0,5% de celui du ci-devant, qui doit ses émoluments à son talent et à son excellence bien sûr. Si je suis la logique de Monseigneur, dois-je comprendre que plus les gens sont pauvres plus ils sont responsables et que plus on grimpe l’échelle sociale plus l’irresponsabilité grandit ? De sorte que l’irresponsabilité constituerait un attribut éthique des élites et la responsabilité une injonction faite aux couches inférieures. Mais l’élite n’est-elle pas la crème de la société ? N’est-elle pas le rassemblement des talents et des génies, de l’intelligence et de l’excellence ? D’où j’inférerai que l’irresponsabilité individuelle relève de l’excellence éthique et la responsabilité individuelle d’une tare probablement congénitale. On m’objectera que j’infère à tort et à travers et que mes propos sont la conséquence d’une première nuit de l’année 2007 sans sommeil et on aura raison pour ce qui concerne mon insomnie en ce premier jour de l’an. Mais on aura tort pour la première partie car si M. Slama et son pote Barbier étaient conséquents avec eux-mêmes (ou plutôt si leurs considérations ne transpiraient le mépris aristocratique de classe le plus vulgaire) ils s’insurgeraient contre le prix unitaire des médicaments et exigeraient que chacun paye les médicaments non remboursés en fonction du niveau de ses revenus, de façon à ce que chacun soit également responsable (puisque d’après eux c’est comme ça qu’on rend les gens responsables, en leur faisant les poches plutôt qu’en les éduquant et les informant): ainsi quand le gonze gagnant mille euros payerait cinquante euros sa boîte de j’saispôquoizan le ci-devant qui en gagne lui dix mille payerait la même boîte de j’saispôquoizan cinq cents euros ; mais une telle idée ne leur effleure évidemment pas l’esprit à ces grands esprits, tout emplis qu’ils sont d’une autre idée, tellement plus agréable et conforme à leurs préjugés, que ce sont nécessairement les gonzes et leurs gonzesses (à moins que ce ne soit l’inverse) qui consomment du médicament et du traitement sans raison et juste parce que c’est remboursé et parce qu’ils sont bêtes.
Peut-être faut-il développer l’automédication mais que vient faire la « responsabilité individuelle » dans ce débat ? Est-on responsable de tomber malade ? De pouvoir se payer les médicaments ? En fait derrière leurs belles phrases se cache le refus d’un système de prise en charge collective des dépenses de santé dont la finalité n’est autre que permettre à chacun de disposer d’un égal accès aux soins, quelque soit son statut social : ce qu’ils supportent mal c’est qu’on rende invisible les distinctions hiérarchiques au sein de la société, qu’on rende invisible les marqueurs de ces hiérarchies. Alors qu’avec ce qu’ils nomment « responsabilité individuelle » les marqueurs en question se matérialisent établissant la distinction entre ceux qui peuvent payer et ceux qui ne le peuvent pas, ce qui les rassure quant à leur statut. Plus précisément le marqueur social réside dans leur irresponsabilité individuelle car, pour ce qui les concerne, les dépenses de santé n’importent guère, elles représentent un coût négligeable qui permet le gaspillage. Ainsi, en enjoignant aux gonzes de se responsabiliser alors qu’eux-mêmes « s’irresponsabilisent » de manière patente, les ci-devant marquent socialement les hiérarchies dont ils forment les sommités mais des sommités un peu flageolantes et qui ressentent un besoin pressant d’être rassurés quant à leur infatuation.
Les maîtres sont gens grotesques...
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