...pour le parlement de la même république de le destituer, ou de l'art d'envoyer des glaviots à la figure de millions de ses compatriotes l'air de rien, tout en arborant le plus charmant sourire et la plus impeccable tenue.
Peut-on n’être pas saisi par une intense émotion républicaine à l’entente de cette audacieuse réforme qui va bouleverser nos institutions, le rapport des citoyens avec leur représentant suprême, les relations entre la Nation et l’Etat, révolution véritable qui stupéfie l’univers : la responsabilité du président de la République devant le parlement et la possibilité pour celui-ci de démettre celui-là de ses fonctions ? Personne ne doute qu’après que la réforme sera entrée en vigueur le bureau d’enregistrement des édits présidentiels et bruxellois (aussi connu sous le nom exotique d’Assemblée nationale, hérité d’une ancienne et anthropologiquement incompréhensible coutume française d’un temps heureusement révolu) verra ses scribes se muer en horde sauvage prête à bondir à la moindre incartade du Grand Khan de Paris ou du Conseil souverain des Grands Khans de Bruxelles !
Ainsi donc dorénavant le président sera responsable devant le parlement qui pourra le destituer. Je crois qu’il faut d’abord souligner le courage exceptionnel d’une majorité parlementaire et gouvernementale qui instaure cette responsabilité quand son chef charismatique arrive au terme de son règne de distributeur automatique de prébende : comment ne pas voir là la quintessence de l’esprit républicain, l’incarnation même de l’esprit public et du dévouement au bien commun ? Qu’il me soit permis de saluer avec componction et démesure ce noble aréopage d’élus et de représentants du peuple ; qu’il me soit permis de le saluer et de le gratifier de mes vœux les plus sincères à l’occasion de l’année nouvelle qui se profile et qui verra certains parmi ses braves ignominieusement blackboulés des cadres majestueux du budget de fonctionnement de l’Assemblée nationale par une populace imbécile : grâces te soient rendues, Homme et Citoyen véritable, à toi qui t’offres en holocauste !
Car il s’agit bien là d’un acte courageux que s’apprête à commettre le parlement, qui pourrait en douter ? Bien sûr il est hautement improbable qu’une majorité parlementaire qui soutiendrait le président, qui appartiendrait au même bord, s’engage dans une procédure de destitution dont l’évocation seule d’une éventuelle initiative suffirait à flétrir son règne (que d’aucuns nommeront mandat pour d’obscures raisons que la philologie la plus poussée est incapable de mettre en lumière). De fait le seul contexte politique qui pourrait conduire à une initiative aussi terrible ne peut survenir qu’en cas de majorités distinctes à la présidence et à l’Assemblée, encore que même dans ce cas il est probable qu’un équilibre de la terreur digne de la Guerre froide s’instaurerait, chacune des deux hémisphères du marché électoral, dit aussi échiquier politique, sachant que si elle engageait une telle procédure quand son adversaire siège parmi les dorures, les petits fours et les eunuques du palais de l’Elisée elle risquerait que le même adversaire lui rende la pareille en cas de situation inversée ; mais enfin, même hautement improbable un tel risque n’en reste pas moins réel. Un mauvais esprit objectera que suite à une première réforme absolument désintéressée qui réduisit à 5 années la durée du « mandat » du Grand Chef (ou du président pour les esprits conservateurs) les deux élections, présidentielle et « législatives » (autre vocable archaïque qui ne déroutera que le lecteur populacier récusant toute culture classique), se trouvent aujourd’hui directement liées l’une à l’autre, l’élection présidentielle ouvrant cette attristante époque propice au populisme le plus nauséabond déterminant l’issue des élections « législatives » qui la suivent de peu et font essentiellement office de confirmation symbolique par le suffrage des sujets-électeurs du choix par eux effectué deux mois plus tôt de leur Grand Chef–on peut d’ailleurs à ce sujet regretter le gaspillage de fonds public suscité par ces élections superfétatoires et s’inquiéter de la perte terrible en intelligence conséquente aux délibérations définitivement incompréhensibles du vulgaire : ne serait-il pas plus rationnel, pour le bien même de ce corps nombreux autant qu’imbécile, de procéder à la désignation des députés par un collège international d’experts indépendants ? Il appert toutefois que les probabilités de voir une telle procédure mise en branle sont légèrement supérieures à celles de voir le Christ Jésus slamé en vieux persan les 852 pages du Traité constitutionnel européen et de ses notices explicatives tout en multipliant avec ses pieds les petits toasts cependant qu’il marcherait sur les mains dessus les eaux du lac de Vassivière en Limousin.
Une fois de plus le mauvais esprit surgissant des enfers avancerait l’idée que la source de la sujétion du parlement à la présidence se situe plutôt dans le maintien d’une institution hospitalière plus connue sous le nom de Sénat ; que le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours exclut a priori quiconque ne joue pas le jeu de l’un ou l’autre des deux partis disposant de la jouissance de la représentation du peuple, ce qui place le « député du peuple » sous la coupe des chefs de clan qui se partagent les politburos et qui sont, au choix, ou président en exercice ou aspirant à le devenir ; que le caractère universaliste de la représentation qui place dans la même compétition électorale des citoyens qui sont certes égaux en droit mais ne le sont pas aux points de vue économique, social et culturel, élimine d’emblée l’impétrant qui n’émarge pas dans la catégorie des 10% des Français les plus riches et transforme l’Assemblée nationale en Conseil de l’ordre des notaires, des médecins et des hauts fonctionnaires ; que le cumul des mandats courant chez les parlementaires accroît sans aucun doute leur prestige et leurs revenus mais nuit nécessairement à la qualité de leur travail législatif en notre époque de bouleversements technologiques, économiques, culturels et sociaux, (politiques ?) ce qui contribue encore à les assujettir à l’expertise du Parti auxquels ils émargent et non à les autonomiser par l’effet magique d’un contact avec le terrain que leur conférerait le beau titre de Maire et dont ils n’auraient pas besoin s’ils ne profitaient d’émoluments au moins quatre fois supérieurs à la moyenne et représentaient également les catégories sociales depuis les RMIstes jusqu’aux plane people qui sont contraints de se réfugier à Bruxelles et à Genève pour fuir la persécution fiscale ; que la centralisation extrême de l’Etat et le caractère pyramidal des deux Partis uniques ralentissent fortement le renouvellement du paysage politique français et empêchent la ventilation de la vie publique nationale en déresponsabilisant les élus locaux (et donc en dédouanant les citoyens qui les élisent de tout contrôle de leurs actes en laissant à des fonctionnaires nommés par…le gouvernement le soin de ce travail nécessaire) et en faisant dépendre leurs carrières du bon vouloir des inamovibles chefs de clan qui se partagent indéfiniment le pouvoir au niveau national ; que les simples faits que les députés ne disposent même pas de la liberté de leur ordre du jour, qu’il n’existe pas de procédures d’évaluation des législations en vigueur et que la signature des décrets d’application des lois votées par les représentants du peuple soit laissée à la discrétion de ministres qui ne doivent leur place qu’à leur entregent (c’est-à-dire leur proximité avec le centre du pouvoir, le président, leur proximité autant dire leurs gentillesses à son égard), que cela donc ridiculise irréfragablement l’idée même que les députés bénéficieraient d’une once de pouvoir au sein de la République…
La France n’est pas une république mais une chefferie ! ça n’est pas en votant comme un seul homme des réformes qui devraient faire mourir de honte leurs auteurs tant elles transpirent le mépris crasseux qu’ils ressentent à l’égard de la populace, ça n’est pas en se couvrant de ridicule en votant comme un seul homme des réformes qui ne tromperont personne, dont les visées manipulatoires vis-à-vis de l’opinion sont tellement grossières qu’elles en sont insultantes (si nos gouvernants par la grâce du Père veulent nous prendre pour des imbéciles qu’ils le fassent avec un minimum de subtilité, de sorte que nous ne prenions conscience de notre statut de dindon qu’à la fin de la farce plutôt que de nous maintenir dans cet état humiliant qui fait que nous savons à l’avance que nous serons les dindons d’une farce sans consistance tout en sachant également que nous ne pouvons rien y faire et que nous serons indéfiniment les éternels dindons d’une farce à laquelle plus personne ne croit, pas même leurs auteurs sans doute), ça n’est pas en agissant de la sorte qu’ils se réhabiliteront auprès des Français ou qu’ils contribueront à leur rendre foi en la capacité du politique à changer les choses. Mais peut-être est-ce ce qu’ils cherchent, les beaux esprits qui nous gouvernent, que la populace se détourne non pas d’eux mais de la vie publique en général, qu’elle renonce à l’espérance politique et lui préfère l’espérance religieuse autrement dit qu’elle subisse les affres de l’ordre des choses qui ne changent jamais et contre lequel on ne peut rien en attendant le paradis pour plus tard, après la mort ! Et que se passera-t-il le jour où la populace se sera convertie au cynisme de ses élites ?
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