mardi 30 janvier 2007

Contre l'orthographe qui fait mal à la tête et la méritocratie républicaine...

...qui fait aussi mal à la tête.

Être français c’est apprendre une orthographe qui transpire la haine, le mépris, la négation même de l’humanité ; être français c’est être enseigné des règles d’écriture qui ont été pensées de sorte à ce qu’elles soient incompréhensibles ; c’est apprendre qu’il y a des règles, qu’il faut s’y plier pour être digne, pour être un homme, qu’il y a des règles mais qu’il est impossible de les comprendre à moins d’être agrégé de latin, grec et vieux français, qu’il y a des règles et qu’il faut les respecter faute de quoi l’on n’est rien, un être sans parole car le français c’est ce qui s’écrit pas ce qui se parle, qu’il y a des règles, qu’il faut les respecter mais qu’elles ne servent à rien dès lors qu’il s’agit de transcrire le langage que l’on croit parler : être français c’est apprendre qu’il faut apprendre des règles qui n’expliquent rien, n’éclaircissent rien, n’apprennent rien et ne servent à rien si ce n’est à séparer ceux qui parviennent à les absorber des autres. L’orthographe française n’est que l’apprentissage de l’arbitraire par l’assujettissement à des règles obligatoires mais incompréhensibles, un mur subtil et délicat dont l’ascension sépare ceux qui savent et qui deviendront les maîtres de ceux qui ne sauront jamais ou mal et qui resteront les sujets.

Et évidemment ceux qui savent sont ceux qui maîtrisent déjà le mieux le langage parlé avant même d’apprendre à l’écrire et qui sont toujours plus ou moins les mêmes. L’orthographe est un instrument de sélection, un tamisage social qui n’est pas totalement efficace et d’ailleurs qui ne doit pas l’être, totalement efficace, auquel cas sa fonction première qui est de terroriser les plus faibles éclaterait au grand jour. C’est l’illustration du principe de la méritocratie républicaine : assurer la reproduction d’une oligarchie nationale tout en extrayant du Tiers-état les grosses têtes dont l’ascension sociale privera, d’une part, la populace d’un encadrement intellectuel efficace et, d’autre part, maintiendra vive la fiction nécessaire à la survie de la susdite archosphère tout en excitant la compétition entre les individus issus du populo, compétition qui elle-même alimente le système de sélection et donc le tamisage social –ou comment l’ascenseur social constitue un agent de la perpétuation des inégalités, comment l’ascenseur social est le produit de la volonté politique d’assurer la perpétuation des inégalités.

Et pourquoi ne pas simplifier cette maudite orthographe anti-démocratique, ne serait-ce qu’en la débarrassant de ces lettres superflues qui l’encombrent ? Si les Italiens vont al teatro pourquoi les Français ne pourraient-ils pas aller au téatre tout simplement ? En quoi des éléfants seraient-ils moins éléphantesques que les éléphants actuels ? Sans doute l’institution d’une orthographe phonétique du français est-elle impossible mais on peut sans difficulté en finir avec tous ces doublons qui compliquent inutilement l’écriture (comme « ai » et « è », « ph » et « f »), ces lettres surnuméraires comme les « h » muets, ces dédoublements de consonnes qui ne correspondent à aucun usage réel de la langue ou ces absurdités comme le « y » qui se prononce exactement comme le « i » pas grec bien qu’il soit censé transcrire en français le son « u » du grec ancien tandis que le son « ou » des mots grecs est transcris par la lettre…« u » en français ! On peut voir là un bel exemple de mépris de classe : à quoi peuvent bien servir ces règles de transcription qui aboutissent à contrefaire les vocables originels si la raison d'être de l'orthographe est de rendre compte de l'étymologie ? Il me semble évident que ces règles n'avaient d'autre fin à l'origine que de séparer les dépositaires de la culture classique qui pouvaient les comprendre des autres, c'est-à-dire du peuple, du vulgaire et de rendre ceux-ci étrangers à leur propre langue. Cette orthographe trace une frontière sociale entre le maître et le sujet, elle incarne une vision du monde qui n'a plus lieu d'être selon laquelle les hommes naissent inégaux, selon laquelle la nature des hommes varient selon leur naissance, selon laquelle un sang rouge irrigue le corps de l'homme né vulgaire et bleu celui de l'homme né noble. Cette orthographe est une insurrection des élites contre le peuple, son maintien l'expression du refus obstiné de celles-là de se penser comme une partie de celui-ci.

L'orthographe est un déchet de l'Ancien Régime, si la France est vraiment une République démocratique, laïque et sociale où la souveraineté réside dans la nation, pourquoi continue-t-elle à être en vigueur 214 ans après la décapitation de Louis XVI? Quand les Nègres de Saint-Domingue sont devenus la nation haïtienne et qu'ils ont instauré une orthographe de leur langue créole qui est issue du français ils ne se sont pas embarrassés d'étymologie et ont écrit la langue parlée par le peuple...

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