vendredi 2 février 2007

Pourquoi l'instauration du scrutin proportionnel constitue une étape nécessaire...

...si l'on souhaite améliorer la représentativité des élus nationaux et ainsi renforcer leur légitimité, partant la légitimié des institutions nationales.

J’évoquais dans une contribution précédente (http://animalcubique.blogspot.com/2007/01/pourquoi-il-faut-rendre-le-vote.html) les raisons pour lesquelles il me semblait nécessaire de rendre obligatoires l’inscription sur les listes électorales et la participation aux élections, sachant que ce sont les catégories les moins bien insérées socialement et économiquement (donc les moins influentes) qui s’abstiennent le plus et considérant que cette abstention contribue à accentuer encore leur isolement dans le champ politique dans la mesure où les candidats à la représentation du peuple tendront toujours à privilégier les arguments et les questions qui concernent le plus les électeurs qui peuvent les amener à la victoire, attitude par ailleurs compréhensible et somme toute rationnelle. Toutefois cela ne suffirait sans doute pas à modifier en profondeur le fonctionnement de la vie politique et la distribution sociale des élus du peuple ; d’autres réformes s’avèrent nécessaires afin d’accompagner la première si l’on souhaite aboutir à une distribution sociale équitable du personnel politique et de la représentation du peuple, ceci afin de faire en sorte que les problèmes des différentes couches de la société puissent être également pris en compte (et donc résolus autant que faire se peut) : la réforme des modes de scrutin et des circonscriptions électorales.

Ainsi le mode de scrutin majoritaire, en interdisant aux formations minoritaires l’accès au parlement autrement que par le biais d’accords a priori avec l’un ou l’autre des deux partis dominants, étouffe la représentation nationale et inféode les députés aux clans en lutte au sein des deux supposés grands partis (qui ne dépassent guère 20% des suffrages), sachant que, de toute façon, pour être élu un député doit être soutenu par l’un de ces deux partis et que, quand il en est membre, il doit faire allégeance aux clans qui se partagent le politburo et qui décideront en fonction du rapport de forces interne la répartition des portefeuilles ministériels. En adoptant un mode de scrutin proportionnel on n’évite pas les luttes d’influence mais au moins celles-ci sont-elles la conséquence du choix exprimé par les électeurs et pas simplement dues aux rapports de forces internes aux partis dits majoritaires qui se sont arrogés le monopole de la représentation du peuple. Qui plus est avec le scrutin proportionnel les petites formations peuvent négocier plus aisément leur soutien au gouvernement, puisque elles peuvent obtenir des sièges de manière autonome sans en passer par ces négociations auxquelles se livrent les petits partis de gauche ave le PS avant chaque élection, ce qui réduit certes la stabilité des majorités gouvernementales mais permet une meilleure prise en compte des intérêts des catégories minoritaires alors qu’avec le système majoritaire se trouvent mis en avant les problèmes qui touchent le plus grand nombre, c’est-à-dire, finalement, le plus petit dénominateur politique commun. On comprend pourquoi dans ces conditions le renouvellement du personnel politique est si difficile en France et pourquoi ce sont justement les populations les plus faibles et les minorités qui votent le moins, tout simplement parce que le système électoral est conçu de sorte (ou abouti) à expulser les questions posées par ces populations d’un champ politique tout entier envahi par les préoccupations de la population majoritaire, c’est-à-dire celle qui pose le moins de problèmes politiques, sociaux et économiques pour la raison qu’elle se trouve dans la moyenne et dans la norme (ce qui ne veut pas dire que ses préoccupations sont illégitimes et ne doivent pas être prises en compte). Le mode de scrutin majoritaire, bien pratique pour le duopole PS/UMP, traduit non pas une intention de bâtir des institutions solides capables de mener des politiques audacieuses au nom de l’intérêt général (contrairement au mythe gaullien repris à son compte par Mitterrand et plus généralement par les socialistes à partir du moment où ils eurent goûté les délices du pouvoir quasi absolu) mais celle de permettre au pouvoir en place de se maintenir indéfiniment. Autrement dit les institutions de la Cinquième République sont conservatrices dans leurs intentions mêmes : on peut d’ailleurs constater qu’au cours des 48 années de ce régime la ventilation des élites n’a fait que régresser, comme le montre la diminution par trois du nombre d’élèves issus de familles ouvrières au sein des grandes écoles et la quasi disparition des ouvriers et employés de la représentation politique.

Je crois profondément que l’instauration d’un scrutin proportionnel permettrait d’améliorer la représentativité des élus, d’abord en rapprochant la répartition des mandats électifs de l’expression de la volonté populaire, ensuite en facilitant l’accès à la représentation politique à des catégories de population qui n’ont de fait quasiment aucune possibilité d’accéder à l’Assemblée nationale. Cela étant, réformer le mode de scrutin ne suffira pas à résoudre le problème que pose la concentration du pouvoir politique entre les mains des indéboulonnables représentants des classes supérieures, population par ailleurs respectable : mais peut-on parler de démocratie quand la représentation effective du peuple se trouve accaparée de fait par une petite frange de ce peuple, toujours la même qui plus est ? Nous pouvons nous parer du beau titre de citoyen, nous n’en restons pas moins des individus occupés par leurs intérêts particuliers, à quelque classe sociale que nous appartenions. Or la question centrale de toute société démocratique concerne le partage des richesses et l’accès au bien-être sous tous ses aspects, ce qui implique des arbitrages au nom de l’intérêt général qui peuvent être contradictoires avec les intérêts particuliers de telle ou telle catégorie de population. Je ne doute pas qu’il existe des esprits purs capables de trancher et de juger indépendamment de leur intérêt particulier et je suis même persuadé que la plupart de nos représentants sont sincères quand ils clament leur attachement à l’intérêt général. Il est toutefois bien difficile d’aller contre son propre intérêt, même quand on est certain de juger en toute impartialité il nous arrive de nous abuser nous-même : quand notre intérêt propre est en jeu les discours ou les propositions qui vont dans le même sens nous paraissent plus facilement, avec plus d’évidence, comme relevant de l’intérêt général même quand ce n’est pas le cas (par exemple, tout le monde juge que les passe-droits sont néfastes à la collectivité mais combien d’entre nous sont capables de refuser un passe-droit qui se présente à lui et combien ne se rendent même pas compte qu’ils en bénéficient et se sentiront sincèrement insultés si on leur fait remarquer que, s’ils ont dégoté ce logement confortable et pas cher dans un quartier tranquille, c’est grâce à leur belle-sœur ou à leur père qui travaille à l’office public X ou dans l’agence immobilière Y, sans l’intervention desquels ils continueraient à vivre dans un studio de 12 mètres carré au cinquième étage sans ascenseur à cinq cents euros par mois) ?

Dans ces conditions faut-il se satisfaire d’un système politique et institutionnel dont les trois quarts des tenants appartiennent aux classes supérieures ? Comment définir un intérêt général quand les trois quarts des élus appartiennent au même milieu social et partagent les mêmes intérêts particuliers et quand les catégories populaires n’ont comme seuls moyens de défendre leurs intérêts particuliers que la grève et la manifestation sachant qu’en outre les catégories populaires n’ont pas nécessairement les mêmes intérêts et ne disposent pas également de ces armes, ce qui fait que, à l’intérieur de ces catégories, ce sont les plus favorisés (ou les moins défavorisés) qui peuvent le mieux faire entendre leur voix et les plus faibles qui en sont exclus ? Notre système politique a été conçu de manière pyramidale, de sorte que, d’une part, les couches les plus favorisées se trouvent être les plus influentes et donc les plus à même de définir les orientations politiques au niveau national et que, d’autre part, à l’intérieur de chaque couche sociale c’est la sous-couche la plus favorisée qui est la plus influente et fait office de porte-parole de l’ensemble. Là encore on voit la finalité conservatrice qui préside à nos institutions : favoriser les avantages acquis (qui peuvent être de nature très différente selon le milieu), favoriser le maintien dans ces avantages de ceux qui les détiennent, favoriser la reproduction sociale des groupes qui détiennent ces avantages. Car, au bout du compte, on aboutit à un système de musellement des dominés par les dominants, dont la grande force réside dans la discontinuité de la domination. Certes quelques uns se trouvent tout en haut et dominent, quelques autres (sans aucun doute plus nombreux !) qui se trouvent tout en bas sont dominés ; mais entre ces deux extrêmes la grande masse des individus se trouve tour à tour en situation de dominant et de dominé, chacun dominant ceux qui se situent sur les degrés inférieurs par rapport à lui tout en étant dominé par ceux qui sont installés sur les degrés supérieurs. D’où la nécessité, pour chaque groupe social, de museler ses inférieurs car, évidemment, si chaque groupe apprécierait de grimper quelques degrés de la pyramide il n’a aucune envie de laisser sa place ; en outre, pour faire entendre ses intérêts particuliers, il doit autant que faire se peut éviter que les intérêts de groupe moins favorisés occupent l’espace politique, au risque de lui faire de l’ombre et de rendre impossible la résolution de ses problèmes ou la promotion de ses intérêts.

Peut-on s’étonner finalement de la forme particulière qu’a prise la progression des inégalités de revenus dans notre pays ? Car il y a bien une progression des inégalités de revenu mais elle ne touche pas tout le monde et surtout elle ne divise pas la société entre une petite minorité qui accapare et une grosse majorité qui décline. Si j’en crois Alternatives économiques seul le quart inférieur de la société a été réellement touché par ce phénomène durant les vingt dernières années, ce qui signifie que la brisure s’est produite à l’intérieur des couches populaires et non entre les couches populaires et les couches supérieures. Non seulement cela mais entre le quart le plus riche et le troisième quart (c’est-à-dire la moitié supérieure des couches populaires) l’écart s’est très légèrement réduit au profit de ceux-ci alors que dans le même temps l’écart de revenu entre le premier quart et le quatrième progressait logiquement un peu moins vite que celui qui sépare le troisième du quatrième. Ainsi, au sein d’une grande entreprise les niveaux de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier en CDI se sont très légèrement resserrés alors qu’un écart notable s’est creusé entre l’employé de nettoyage industriel qui fait le ménage dans l’atelier et l’ouvrier qui y travaille (comme avec le cadre supérieur bien sûr). On voit qu’à l’intérieur des couches populaires celles qui souffrent le moins, celles qui subissent le moins les affres de la précarité et de la paupérisation sont celles qui sont les plus à même de se défendre et de contrer les décisions prises par un gouvernement par exemple ; on voit aussi que celles qui subissent le plus sont les moins remuantes dans la rue en terme de manifestation, dans les médias en terme de mouvements sociaux ; tout cela parce que les couches populaires ont des intérêts qui peuvent être convergents sur certains points mais qui sont parfois divergents. Or, si la représentation des couches populaires est assumée par les sous-couches les mieux insérées dans la société pyramidale, les problèmes spécifiques aux sous-couches les plus en difficulté ne seront jamais pris en compte ; et le mauvais esprit qui pointera ce fait se fera taxé de traître au mouvement social, sera accusé de diviser et de faire le jeu de l’adversaire par ceux-là même qui, à l’intérieur des couches populaires, ont tout intérêt à museler les plus faibles. Et bien sûr ce musellement ne sera pas conscient ni volontaire et les pourfendeurs de traîtres seront sincères, ils se mentiront à eux-mêmes.

Pour dénouer le problème de la non-représentation ou de l’inégale représentation des différentes catégories sociales, il appert qu’il faut réformer les règles qui président à la représentation, d’abord rendre obligatoire la participation aux élections, ensuite revoir le mode de scrutin, enfin passer d’un système de représentation de territoires à un système de représentation de catégories sociales. La suite au prochain numéro…

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