jeudi 1 février 2007

Allégations délirantes à propos de l'économie écrites dans un style très lourd...

...qui posent des questions sur un ton prétentiard sans jamais y répondre.

L’économie existe-t-elle ? L’économie représente-t-elle cette réalité intangible qui nous est présentée communément ? Constitue-t-elle ce milieu naturel que nous nous sommes habitués à considérer comme doté d’une existence autonome préexistant à l’humanité ? Et que signifie cette prétendue « science économique » ?

En tant que butor je considérerai plutôt l’économie comme un fait social, comme une somme de faits sociaux. Il est bien évident qu’affirmer que l’économie préexiste à l’humanité et qu’elle en constitue le milieu naturel est absurde tant il est manifeste que l’économie est le produit de l’activité humaine et pourtant nous faisons comme si. Notre raison peut nous démontrer cette évidence le plus clairement qui soit nous demeurons tous plus ou moins persuadés au fond de nous-mêmes qu’il n’en est rien. J’en veux pour preuve la manière avec laquelle les médias se saisissent et répandent complaisamment les vaticinations émises par les experts dénommés prévisionnistes et la manière dont nous les recevons tout aussi complaisamment : ces « prévisions » ont beau s’avérer fausses une fois sur deux les médias continuent à les diffuser et les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs à les recevoir sans être nullement choqués par ces erreurs persistantes. Dans les faits, lesdites prévisions se réalisent ou pas à la manière des prédictions d’une voyante, aussi pourquoi cette obstination de la part des médias à les relayer, de la part des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs à les respecter si ce n’est parce que l’on perçoit ces statistiques prédictives comme une démonstration du caractère scientifique de l’économie en tant que discipline et parce que nous percevons l’économie comme une réalité en soi, indépendamment de l’activité humaine dont elle est la conséquence.

De fait nous sommes conditionnés ou nous nous sommes conditionnés à percevoir l’économie comme pourvue d’une existence en propre, d’où cette croyance superstitieuse dans la vérité des chiffres balancés par les prévisionnistes et les économistes : comme nous croyons a priori à cette existence autonome nous nous raccrochons à tout ce qui peut nous sembler confirmer notre croyance et nous adorons des chiffres qui n’ont aucun sens ni aucune valeur prédictive ou analytique en les élevant au rang de preuves irréfragables du caractère tangible de l’économie, qu’ils nous décrivent avec l’apparente neutralité que confère les mathématiques à la physique par exemple assimilant ainsi l’économie à une science à part entière et donc plaçant l’économie hors du champ de l’humain, du social et du culturel. Au bout du compte, croire à ces prédictions absurdes et démenties par les faits la plupart du temps revient à croire en l’existence de lois intemporelles de l’économie ; plus exactement la croyance dans les prédictions est la conséquence de la croyance en l’existence de lois intemporelles et universelles qui définissent l’économie indépendamment de l’activité des hommes, de leurs cultures, des tensions sociales, intellectuelles qui traversent les sociétés humaines et de la manière dont ils usent au plan politique afin de résoudre les conflits nés de ces tensions. D’un phénomène aléatoire on ne peut anticiper l’évolution, aussi on ne peut croire à ces prédictions que si l’on croit préalablement en l’existence de lois et de règles observables dont on peut déduire le court à venir des choses en les projetant dans l’avenir ; or pour que l’observation permette de déduire des lois générales encore faut-il que le phénomène observé soit suffisamment stable sur un temps long, seule la répétition des mêmes faits dans des conditions identiques permet de déterminer des lois et donc la possibilité d’anticiper ou, pour le moins, d’estimer approximativement. Notre volonté de croire les prévisionnistes et la complaisance que nous mettons à gloser leurs délires me semble un indice de notre croyance à des lois de l’économie qui vaudrait en tout temps et en tout lieu, croyance qui est la conséquence de notre représentation de l’économie comme milieu naturel du primate humain à l’instar de ce que représente la forêt pour ces autres primates que sont les chimpanzés et les bonobos.

Car, bien sûr, l’économie n’existe pas en tant que phénomène autonome comme on peut le constater au vu du rythme auquel le capitalisme évolue et change de forme selon le lieu et l’époque. Non seulement cela mais l’économie ne réagit pas de la même façon à des problèmes identiques. Placées devant la possibilité d’exploiter honteusement la main-d’œuvre pauvre du Sud en lieu et place de la main-d’œuvre plus ou moins mal payée et protégée du Nord, les économies de différents pays riches et industrialisés réagissent différemment. Ainsi le Japon délocalise-t-il afin d’abaisser les coûts de production tout en réinvestissant massivement dans la recherche et l’innovation, ce qui lui permet de maintenir une certaine cohésion sociale alors que la France se contente de tirer profit sans réinvestir ces gains obtenus cyniquement ; le contraste est d’autant plus fort que les dépenses de recherche et développement ont plutôt eu tendance à régresser en France alors qu’elles ont augmenté fortement au Japon durant la même période. La différence de réaction entre Japon et France est probablement due à la représentation de soi que développe chacune de ces sociétés et aux enjeux politiques qui en découlent relativement au partage des richesses: si le Japon se représente comme une société homogène, la France est quant à elle rongée par un classisme et un ethnisme qui lui permettent de se payer le luxe d’un chômage massif sur un temps long. Ainsi les groupes sociaux les plus protégés, qui sont souvent les plus influents et auxquels appartiennent les économistes, sont plus ou moins épargnés par le chômage cependant que, à l’intérieur du groupe le plus exposé (les ouvriers et employés), le chômage frappe le plus durement les minorités construites par la société, de sorte que les groupes sociaux les plus influents se trouvent à l’abri (à commencer par les élites championnes du monde toutes catégories du protectionnisme social) et que les groupes les plus exposés confrontés à une pénurie se fragmentent sur une base ethnique, ce qui, d’une part, permet de réduire la contestation puisque ce sont justement les moins nombreuses et les moins insérées de ces ethnies qui supportent le plus durement le poids du chômage induit par la soi-disant concurrence, et, d’autre part, affaiblit globalement les couches inférieures de la société, ce qui contribue à renforcer l’emprise politique des élites sur la société et donc à les protéger davantage de la concurrence qu’elles professent aux autres. (Je constate d’ailleurs que tant que le chômage de masse n’a concerné que les ouvriers/employés et leurs enfants il ne suscitait que de vagues récriminations alors que quand il a commencé à toucher les cadres et ingénieurs, c’est-à-dire une catégorie longtemps privilégiée et protégée, il est devenu abominable, le chômage. Une chose marquante à ce sujet est la figure du SDF anciennement cadre ou ingénieur qui a surgi au début des années 90 alors que jusque là tout-le-monde-qui-compte se foutait pas mal des SDF. Enfin la précarité grandissante, subie par les ouvriers et employés depuis les années 80, n’a surgi dans le débat politique que depuis que la catégorie des cadres et ingénieurs est elle-même touchée par ce phénomène.) Au bout du compte ce sont les structures sociales et les volontés politiques qui déterminent l’évolution de l’économie et pas un génie propre ou des lois déterministes valant en tout temps et en tout lieu ; et si Japon et France divergent au lieu de converger c’est tout simplement en raison des rapports de forces internes à ces sociétés, de leurs représentations du monde.

On m’objectera que ces deux pays affrontent un même problème qui est lui-même indéniable : l’émergence d’une masse de travailleurs à bas salaires prêts à vendre leur force de travail. Mais c’est oublier que rien n’oblige les pays du Nord à s’abandonner à la concurrence des bas salaires du Sud. C’est oublier la répression organisée par les Etats du Sud et les investisseurs afin de maintenir au niveau le plus bas possible les salaires de leurs travailleurs ; c’est oublier qu’en Chine par exemple le gouvernement avait, avant d’offrir ces pauvres et ces crève-la-faim à la prédation des investisseurs internationaux, brisé la grande industrie, c’est-à-dire brisé la classe ouvrière chinoise, les statuts qui l’organisaient, les systèmes sociaux qui lui assuraient une vie décente : ainsi dans ce pays les délocalisations industrielles ne sont pas un moyen de développer l’économie mais de fournir au capitalisme les troupeaux de quasi esclaves qu’il a toujours adoré exploiter. Par ailleurs la mondialisation surgit dans les pays du Nord comme un moyen de briser la classe ouvrière et de la renvoyer à sa pauvreté originelle, à son infériorité : de la même manière que l’Etat chinois a anéanti la grande industrie pour liquider la classe ouvrière organisée et consciente, les Etats occidentaux se sont subitement pris d’une passion libre-échangiste après que les luttes ouvrières (et pas le bon vouloir de quelque patron visionnaire ou l’effet mécanique de la croissance qui n’augmente mécaniquement les revenus que de ceux qui dominent) eurent abouti à élever le niveau de vie des ouvriers (et des employés à leur suite) ainsi que le niveau d’éducation de leurs enfants, le libre-échange étant la version soft mise en œuvre par un Etat démocratique qui se doit de préserver les formes. Par un étrange concours de circonstances le grand mouvement de destruction créatrice a survenu juste après l’émergence de la « grande classe moyenne » où tout le monde devait finir par émarger, les patrons comme leurs ouvriers n’étant plus distingué que par des nuances : n’est-ce pas un phénomène extraordinaire ? D’autant plus que, au bout du compte, quel est le modèle de société qui émerge après 30 ans de furie libre-échangiste et de prétendue « réalité économique » ? Par un hasard miraculeux voilà brisée la « grande classe moyenne » et resurgie la pauvreté laborieuse, accrue les inégalités sociales, réformé toujours dans le sens de l’affaiblir l’Etat-providence, etc. ; par un hasard troublant la société qui émerge sur les décombres de la « grande classe moyenne » exhale comme des remugles de ce bon vieux temps où les pauvres se faisaient la guerre entre eux plutôt qu’à leurs patrons, de ce bon vieux temps où chacun était contraint à rester à sa place parce que, bizarrement, l’exacerbation de la concurrence aboutit à ralentir la mobilité sociale, enfin la vraie mobilité sociale, celle qui permet d’accéder à une vie meilleure que ses parents et de se projeter dans l’avenir, pas celle qui fait des stars et des déchets. En effet, contrairement à ce que le discours dominant annone, quand on établit le libre-échange entre des pays à niveau de développement divergent (comme la Chine et l’Europe) la compétition ne se joue pas entre les entreprises ni entre les biens et les services qu’elles produisent mais entre les systèmes sociaux des pays en question, les législations du travail, les rémunérations et finalement les salariés eux-mêmes.

Cette concurrence exacerbée, dont les implications douloureuses reposent exclusivement sur les moins nantis, à l’échelle mondiale n’est que l’aboutissement des décisions mises en œuvre par des états qui ouvrent les frontières entre des pays à niveau de développement divergent plutôt que d’organiser une régulation des échanges mondiaux par le biais de taxes douanières qui corrigent les écarts de coûts de production. La mondialisation capitaliste ne constitue donc pas un phénomène naturel consécutif à une économie universelle et intemporelle qui n’a jamais existé nulle part. Elle surgit parce que les investisseurs cherchent à accroître indéfiniment leurs profits et que les politiques souhaitent leur complaire en organisant la mise en concurrence des salariés du monde entier. Et tout ça en raison de l’idéologie réactionnaire qui anime les partisans du libre-échange et des libéralisations : la mondialisation n’est qu’une insurrection des puissants et des maîtres contre l’évolution culturelle et politique de sociétés qui condamnait leur pouvoir et leur prédation et c’est pourquoi elle surgit opportunément pour briser la société égalitaire et défendre les privilèges des puissants et des maîtres. Mais pour que ce discours sur la mondialisation comme contrainte extérieure suscitée par quelque surnature soit accepté par ceux qui en subissent désagréablement les conséquences encore faut-il en celer les origines humaines et politiques, d’où cette vision du monde dans laquelle l’économie est à elle-même sa propre fin, où elle préexiste à l’humanité qui n’a qu’à s’y adapter, d’où l’importance de séparer de manière factice politique et économie, culture et économie, société et économie, d’où la nécessité de faire accroire que l’économie constitue un milieu naturel au sein duquel les hommes s’ébattent et se battent au nom des sains principes de la sélection naturelle sans laquelle la décadence et la décrépitude guettent toute société.

Certes le discours économique n’est pas univoque et les économistes défendent des théories différentes, il n’empêche qu’à partir du moment où l’on place l’économie au centre du monde on accorde du même coup un avantage au discours dominant, en l’occurrence le discours libre-échangiste et libéral qui promeut la mondialisation capitaliste, avec toutes ses conséquences quelquefois bonnes et souvent mauvaises.

L’économie n’existe pas !

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