samedi 3 février 2007

Où je pontifie à propos de la croissance et somme le citoyen que je suis parfois de cesser...

...de croire à des contes pour enfants auxquels les enfants eux-mêmes ne croiraient pas si la gentille maîtresse ou le gentil papa se mettaient en tête de les leur conter.

Sans création de richesse, pas de partage possible, clament en chœur les partisans de la croissance économique. Ce raisonnement est certainement judicieux dans un pays comme la Chine ou la Roumanie, le Sénégal ou le Paraguay, cependant il me semble quelque peu problématique dans un pays comme la France, comme dans les pays européens plus généralement. En effet jamais la France pas plus que l’Europe ne se sont appauvris durant les trente dernières années, depuis le début de la crise économique censément survenue suite au premier choc pétrolier. Dans notre pays la fameuse croissance a certes été plus faible qu’en Grande-Bretagne ou en Irlande mais elle n’en a pas moins été positive, hormis en 1993 où une très légère récession s’est produite, vite corrigée d’ailleurs au cours de l’année suivante. Autrement dit la France n’est pas plus pauvre à l’heure actuelle qu’elle ne l’était il y a dix, vingt ou trente ans et s’il y a crise elle est sociale et non économique, elle consiste en une contraction de la masse salariale davantage qu’en une contraction de la richesse nationale. Et pourtant le discours sur la nécessité de stimuler la croissance économique envahit l’espace politique et médiatique avec une pérennité et une évidence assez surprenantes. Je veux bien croire que bénéficier d’une croissance forte de l’économie représente un atout considérable pour faciliter la création d’emploi ; cela étant, un certain taux de croissance n’entraîne pas mécaniquement un même taux de création d’emploi, ainsi la forte croissance de la fin des années quatre-vingt-dix a-t-elle été plus riche en emploi que la phase d’expansion équivalente survenue la décennie précédente. Et cela ne change rien au fait qu’aucun pays occidental ne s’appauvrit en période de crise (réelle ou supposée) ; cela ne change non plus rien au fait que ce que nous nommons « crise économique » signifie en réalité un ralentissement du rythme de l’accroissement de la richesse. Mais le discours médiatique et politique est tout entier envahi par cette croissance sans laquelle aucun plein-emploi n’est possible.

Et pour cause, il faut bien justifier les réformes nécessaires mais douloureuses qui nous sont présentées par les prêtres de la croissance comme des mesures propitiatoires. Ainsi la nation est « en crise » (c’est-à-dire qu’elle s’enrichit à un rythme relativement lent), crise qui provoque officiellement du chômage ; le chômage quant à lui ne peut être résorbé que par la création d’emplois nouveaux ; or pour créer des emplois il faut de la croissance et pour obtenir ladite croissance il faut réformer essentiellement le marché du travail et la fiscalité. Et à quoi consistent ces réformes destinées à nous concilier les dieux de l’Economie ? A baisser la fiscalité qui pèse sur le capital et les plus riches d’une part et à baisser les salaires et à réduire les protections juridiques des salariés ainsi que les systèmes de solidarité nationaux de l’autre, mesures qui correspondent aux immémoriales lubies de la classe capitaliste qui l’avaient conduite à la collaboration active avec les régimes fascistes, collaboration qui elle-même permit indirectement, en raison du discrédit moral jeté sur ladite classe, la mis en œuvre de réformes véritables à la Libération. N’est-ce pas là la raison pour laquelle le discours sur la croissance est ressassé jusqu’à l’envi ? N’est-ce pas tout simplement qu’il n’est que l’instrument d’un chantage ignoble à la réforme, « réforme » en langage capitaliste libéral devenant synonyme de régression sociale ? Car, si on admet communément que l’année 1983 constitue un tournant dans les politiques économiques, sociales et fiscales, cela veut dire que depuis vingt-trois ans maintenant nous subissons ces « réformes nécessaires mais douloureuses », comprendre nécessaires pour l’enrichissement des capitalistes et de leurs affidés et douloureuses pour ceux qui n’ont que leur travail pour les faire vivre, leur travail et la désormais fameuse « valeur travail » qui, comme par enchantement, surgit inopinément, et néanmoins opportunément, au moment où les conditions d’embauche se dégradent lentement, où les conditions de travail se dégradent lentement, où les conditions de vie de ceux qui vivent de leur travail se dégradent lentement ! Vingt-trois ans de flexibilisation du marché du travail, de modération salariale, de démantèlement de l’assurance-chômage, de privatisations, de libéralisations, de suppression des barrières douanières, etc. ; vingt-trois ans de réformes qui sont autant de cadeaux aux entreprises que la propagande libérale institue en propriété exclusive de l’actionnaire, le salarié n’étant plus qu’un coût toujours trop élevé, un parasite qui porte atteinte aux profits des rentiers (il est à noter que le propos sur la valeur travail vaut essentiellement pour les « travailleurs peu qualifiés », que le malheur du temps oblige à mal payer, et s’estompe au fur et à mesure que l’on se rapproche des lieux de pouvoir de l’économie capitaliste pour disparaître complètement quand on parvient à la caste des rentiers qui vivent du travail des travailleurs).

Mais le problème de la France c’est la croissance et surtout comment retrouver un rythme soutenu de croissance ; le problème de la France c’est comment justifier des réformes toujours plus brutales et impopulaires, et surtout comment éviter toute remise en cause desdites réformes. En effet, les réformes menées sans arrêt au nom de la croissance, de l’Europe, de la paix dans le monde et de la lutte contre la calvitie chez l’enfant, ces réformes nécessaires mais douloureuses ne sont, comme il se doit, jamais auditées. J’en veux pour preuve la libéralisation de l’électricité, une ode à la pensée Circulaire. Ainsi l’ouverture du marché de l’électricité a été décidée au milieu des années quatre-vingt-dix, à une époque où la production électrique était excédentaire, peu coûteuse pour les consommateurs et pourvoyeuse de ces odieux emplois statutaires ainsi que de leurs insoutenables coûts salariaux (qui n’empêchaient pas l’électricité d’être bon marché). Pendant dix ans notre compagnie nationale a claqué des dizaines de milliards d’euros en rachat de concurrents étrangers, à tel point qu’elle a dû s’endetter comme jamais auparavant, durant cette époque soviétique attentatoire aux libertés individuelles et à la goinfrerie capitaliste où la France subissait la dictature irresponsable du salariat parasitaire, époque, joug en vérité, qu’on ne peut évoquer sans frémir de tous ses membres ; bien évidemment, puisque EDF s’est endettée pour bouffer ces futurs concurrents étrangers, elle n’a pu investir dans le renouvellement ou l’accroissement de ses capacités de production, en tout cas pas suffisamment pour assurer un niveau de production satisfaisant dix ans après le début de la libéralisation. Voilà comment la libéralisation aboutit à la pénurie, comment la pénurie induite par la libéralisation justifie a posteriori ladite libéralisation ; voilà comment le Cercle de la raison Circularise en rond, comment les hommes Circulaires étouffent l’esprit critique à la manière d’un boa constricteur qui s’enroule autour de sa proie. Mais, outre les conséquences industrielles de la libéralisation, qu’en est-il de l’évolution de l’emploi dans le secteur électrique en France, en clair : combien d’emplois détruits par EDF et combien d’emplois créés par les nouveaux arrivants sur ce qui constitue désormais un marché ? Qu’en est-il de l’évolution de la masse salariale, à quels niveaux de salaire correspondent les emplois détruits par EDF et ceux créés par la concurrence ? Qu’en est-il de l’évolution de l’investissement dans la recherche et développement, EDF et concurrents privés confondus, depuis le début de la libéralisation jusqu’à aujourd’hui ? Bizarrement, alors que les rapports sur la nécessité de réformer, libéraliser, déréguler, etc. abondent, aucun ne traite ces questions, en tout cas aucun qui ait été médiatisé et qui soit parvenu jusqu’à mes oreilles distraites ; cela étant, au vu des évolutions de la production et des coûts qui vont à rebours des théories libérales (puisque les coûts augmentent alors qu’ils devaient baisser, mais c’est bien sûr la faute au pétrole et au gaz ; que les capacités de production se dégradent relativement aux besoins alors qu’ils devaient augmenter mais c’est bien sûr parce qu’on n’est pas allé assez loin dans la libéralisation), on est tout de même en droit de se poser ces questions et d’imaginer des réponses elles aussi contradictoires aux théories officielles qui ont présidé à la libéralisation. (Ce qui vaut pour le secteur électrique vaut pour tous les autres d’ailleurs).

De même on est en droit de se poser des questions quant aux fins poursuivies par ces réformes au vu de leurs conséquences sociales et de leur inefficacité économique. Tout porte à croire que ce qui est visé par ces réformes qui n’aboutissent à rien et encore moins à leur objectif annoncé n’est pas tant l’activité économique mais le salariat et les statuts qu’il a instaurés contre la volonté des entreprises et du capital et contre la volonté des politiciens, de quelque couleur qu’ils se parent. Car, si la réforme du secteur électrique en France n’améliore pas la production et ne fait pas baisser les prix, il apparaît que ce sont bien les salariés d’EDF et leurs statuts qui subissent une réduction de leurs avantages et les capitalistes qui en tirent profit. De là à dire que la libéralisation avait pour but implicite la destruction du salariat à statut, à revenu (salaire ou pension) relativement élevé, à avantages sociaux conséquents (notamment le fameux comité d’entreprise qui énerve les imbéciles et les réactionnaires qui nous gouvernent) travaillant dans le secteur électrique il n’y a qu’un pas que je franchis sans hésiter tant cela saute aux yeux de qui ôte les œillères que lui ont posées l’école et la télévision depuis vingt ans. Et quoi d’étonnant d’ailleurs ? Ce n’est que l’achèvement du grand œuvre auquel se sont attelé les gouvernements français depuis 1983, qui consiste à imputer aux salariés la responsabilité du chômage, aux salariés et à leurs statuts ainsi qu’à leurs exigences financières jamais rassasiées, imputation d’autant plus absurde que les salariés n’ont aucun pouvoir au sein des entreprises françaises, qu’ils sont tenus à l’écart des prises de décision dont ils subissent les conséquences et ne peuvent par conséquent être tenus responsables de l’évolution des entreprises, de leur incapacité à anticiper, de leur faible propension à investir et de leur peu d’appétence pour l’innovation comme pour la recherche, de leur frilosité à l’exportation et de leur archaïsme managérial le cas échéant. Toutefois l’imputation aux salariés de la responsabilité du chômage de masse n’est pas anodine : elle concourt à justifier les réformes et accompagne le blabla sur la croissance qui ne reviendra nous sauver que quand elles auront été menées à bien. En fait, puisque la croissance est nécessaire pour créer de l’emploi, les tenants de l’idéologie libérale-concurrentielle en viennent à initier de ces raisonnements circulaires qui sont leur marque de fabrique : la croissance crée de l’emploi donc l’emploi crée la croissance, en conséquence de quoi il faut adapter l’emploi aux exigences du moteur de la croissance, le capital ou plus précisément l’investissement du capital, le travail dans tout ça ayant complètement disparu (mais pas la valeur travail !).

Et si c’était justement les réformes qui étaient à la source du chômage de masse ? Si c’était la libéralisation de l’économie qui était la cause du chômage et non la solution à ce problème. Les obsédés du libre-échange, des libéralisations et des privatisations peuvent brailler autant qu’ils veulent, ils sont libres de jeter l’anathème sur les méchants « populistes » (comme ils disent dans leur langage réactionnaire et anti-démocratique : le populisme c’est mal, l’élitisme c’est bien ; défendre le peuple c’est mal, défendre l’élite c’est bien, etc. : que ne défendent-ils la société sans classes alors ces braves gens ? le meilleur moyen d’éliminer ce populisme tellement dangereux pour la démocratie ne consisterait-il pas à supprimer carrément le peuple en l’élevant au même niveau que l’élite autoproclamée ? mais je sens que je retombe dans le « populisme » et ferme ma parenthèse) qui mettent en cause leurs mensonges, la réalité de la brutalité du monde qu’ils sont en train d’édifier n’en apparaît pas moins chaque jour plus visible. Pour prendre un exemple concret je me référerai aux offices HLM. Il y a encore peu ces offices publics prenaient en charge la totalité des activités d’entretien des immeubles dont ils ont la gestion : c’est ainsi qu’ils embauchaient des peintres, des gardiens, etc. Epoque barbare qu’un vent Circulaire de libéralisation est en train de réduire à néant : ainsi dorénavant, plus de gardien ou de peintres fonctionnaires, les activités d’entretien des bâtiments sont confiés à des prestataires de service privés. Il se trouve que, étrangement, quand on transfère les activités de gardiennage à des prestataires, l’emploi en prend un coup, les gardiens fonctionnaires employés à temps plein et salaire indiciel étant remplacés par des employés à temps partiel appointés au SMIC généralement moins nombreux, de sorte qu’en ouvrant à la concurrence on ne crée pas d’emploi mais qu’on en détruit, et non seulement on détruit de l’emploi mais en plus l’emploi créé est dégradé en terme de revenu comme en terme d’avantages sociaux ; en outre en confiant à des prestataires privés le soin de tâches particulières on contribue également à déqualifier le travail, par exemple les employés d’entretien se trouvent confinés dans une seule et unique tache qui est le ménage. Comme les loyers ne diminuent pas il est difficile de croire que l’on agit de la sorte pour le bien des locataires. Certes d’un cas particulier on ne peut pas tirer une règle générale et ce n’est d’ailleurs pas mon intention mais on peut en tirer argument afin de contrer le bourrage de crâne qui veut nous faire croire qu’il suffit d’ouvrir un secteur à la concurrence pour créer de l’emploi et résoudre globalement le problème du chômage. En l’occurrence libéralisation égale perte d’emploi, baisse de salaire, ce qui implique pour la collectivité publique perte de recettes fiscales et hausse des dépenses d’aide sociale.

Mais, comme de juste, aucune étude ne traite ces questions, les experts indépendants préfèrent réécrire indéfiniment les mêmes recommandations sur le niveau excessif des salaires, des protections de l’emploi et des rigidités qu’elles entraînent, etc., tout cela afin de stimuler la croissance, laquelle résoudra tous nos problèmes d’un coup de baguette magique, tout du moins sommes-nous invités à le croire. Ainsi foin de toute discussion quant à la qualité des emplois, des salaires qui y sont liés, des perspectives d’avenir qu’ils procurent ou pas à leurs titulaires : la seule préoccupation c’est créer de l’emploi et stimuler la croissance, ce qui revient au même dans la logomachie libérale. On comprend bien pourquoi quand on regarde le monde en cessant de voir dans l’humanité un agrégat d’agents rationnels dont la seule vocation serait de servir l’Economie ; on comprend pourquoi quand on regarde l’évolution sociale de la France et les conséquences épouvantables de vingt-trois années de libéralisation forcenée. D’ailleurs si la croissance représentait cette merveille qui résout tous les problèmes par sa seule apparition, les pays qui connaissent une croissance forte devraient n’avoir aucun problème, en tout cas les problèmes sociaux devraient y être moins aigus que chez nous. Or il n’en est rien, la pauvreté est aussi grave en Irlande qu’en France, en Espagne qu’en Allemagne ; qui plus est, dans notre pays, la réapparition d’un phénomène comme la pauvreté laborieuse date de la période de forte croissance des années 1998/2001, de même que l’expansion du travail précaire. De fait, croissance ou pas croissance, on retrouve à peu près les mêmes phénomènes dans tous les pays d’Europe, aussi pourquoi cette omniprésence du discours médiatique et politique (et je ne parle pas des experts !) sur la croissance comme seule voie possible afin de réduire le chômage et les problèmes sociaux afférents ? N’est-ce pas tout bonnement qu’il s’agit de masquer la réalité des choses, la triste réalité d’une économie libérale sans issue au point de vue social et humain parce que sa seule finalité réside en l’enrichissement indéfini d’un capital érigé au rang de divinité ? La croissance n’a-t-elle pas pour but d’oblitérer le monde tel qu’il est et tel qu’il ne peut manquer d’être en raison des réformes libérales qui sont menées ?

C’est un fait que, tant que la croissance est présentée comme la voie unique de sauvetage, tout discours alternatif à la logomachie libérale est inaudible puisque le discours qui prône la croissance de manière obsessionnelle lie celle-ci à la libéralisation de l’économie et tout ce qui s’ensuit, c’est-à-dire aux politiques qui sont à l’origine de la crise sociale que la France traverse. Le peuple doit croire à la croissance et c’est pourquoi cette dernière envahit et sature l’espace médiatique et politique : tant que la gueusaille croit à la propagande pro-croissance elle ne remet pas en cause la dégradation de ses conditions de travail, d’embauche, de salaire et de vie puisque celle-ci lui est présentée comme un mal nécessaire, un col à franchir au-delà duquel la pierraille où il s’esquinte les arpions cèdera la place aux jardins édéniques parmi la luxuriance desquelles elle s’abreuvera du miel et du lait que les mânes de l’Economie lui procureront. Cette croyance en la croissance relève donc de l’aliénation pure et simple, elle conduit les travailleurs à devenir étrangers à leur propre réalité, réalité à laquelle se substitue l’attente indéfinie du retour de la croissance qui résoudra ses problèmes alors que ce sont justement les mesures édictées par le pouvoir politique afin, soi-disant, de faire revenir la croissance qui sont source de ses problèmes. Parce que, bien sûr, quand la croissance revient pour un certain temps, il faut alors être responsable et en profiter pour aller encore plus loin dans des « réformes » qui sont toujours les mêmes ! En fin de compte le problème ne se situe pas dans la croissance mais dans les politiques économiques, dans le partage des richesses, dans la conception que l’on a des rapports entre travail et capital, in fine dans la vision de la société et du monde que l’on professe : les groupes humains ne sont-ils que des agrégats inconscients d’égoïsmes en lutte pour la satisfaction immédiate de leurs prétentions ou résultent-ils de la libre association de citoyens qui mettent en commun leurs forces et leurs faiblesses afin d’améliorer mutuellement leurs conditions d’existence ? Mais pour en arriver là encore faut-il déchirer la toile tissée par les tenants du capitalisme pur et dur et qui a nom croissance !

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